À quatre ou en duo, les violons dans l’arène : Imaginarium réveille l’imaginaire de Telemann
Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Concerto con 4 violin en sol majeur TWV 40:201. Zwangiste Lection des Music-Meisters en sol majeur TWV 40:111. Concerto a 4 violini senza basso en ré majeur TWV 40:202. Duetti en sol majeur, la mineur, si mineur TWV 40:124-126. Sonata à IV violini en ut majeur TWV 40:203. Canons mélodieux ou VI Sonates en duo : Sonata I en sol majeur TWV 40:118, Sonata III en ré majeur TWV 40:120. Sonata I en ré majeur TWV 40:103. Imaginarium Ensemble. Enrico Onofri, Alessandro Tampieri, Boris Begelman, Maria Cristina Vasi, violon baroque. Août 2022. Livret en anglais, français, allemand, italien. TT 63’29. Passacaille PAS 1126
Faut-il craindre le vide ou du moins l’absence de fondement, de soutien, dans ces œuvres « senza basso », sans accompagnement autre que l’entrelac de ces duos ou quatuors ? Conçues pour le plaisir domestique des amateurs. « Lors de cet enregistrement, le Sharp Band de l’ensemble Imaginarium s’est aventuré dans le monde fluctuant, intense et néanmoins incertain, fait de plaisanteries, d’imitations, de galants duels amoureux et de poursuites » précise Enrico Onofri dans la notice. Dans l’immense production de Telemann ont été sélectionnés des duos tirés du Second Livre TWV 40:124-129, des Sonates sans basse TWV 40:101-106, des Canons mélodieux TWV 40:118-123, de la Zwangiste Lection des Music-Meisters, ici joués aux violons bien que ces pages ne soient d’ailleurs pas forcément assignées à cet instrument puisque conformément à leur vocation elles peuvent être commodément déclinées sur flûtes, hautbois, violes de gambe… Ces duos croisent des pièces en quatuor, en quatre parties de schéma lent-vif-lent-vif.
Reflets d’un goût mêlé que le prolixe compositeur sut si adroitement conjoindre, les influences germaniques, françaises, italiennes innervent ces écheveaux qui révèlent leur parenté avec J.S. Bach (Concerto con 4 violin en sol majeur), la manière vénitienne de Vivaldi (introduction de la Sonata à IV violini en ut majeur), ou la Cour du voisin royaume de Louis XV. Cette diversité stylistique, les archets d’Imaginarium se l’approprient avec l’imagination et la virtuosité attendues, sur un panel d’instruments d’époque ou de justes copies. Un parcours sans filet de sécurité. Oui, un pari risqué, qui atteste le haut niveau de la pratique non-professionnelle destinée à ces œuvres, et qui pourrait effaroucher l’auditeur d’aujourd’hui en raison de l’effectif et du centrage autour d’une même tessiture, intensément travaillée.
Rien à craindre au demeurant, tant la prestation assure ici la variété des rythmes et des ambiances, véhiculée par une science exacte, une sensibilité jamais prise en défaut, et une respiration sans temps mort. On devine le temps de préparation pour caler la rhétorique et peaufiner de si subtils échanges, où le contraste rivalise avec la souplesse des postures. Capté à Munich en janvier 1979, un stimulant disque de jeunesse du Musica Antiqua Köln de Reinhard Goebel, Kammerkonzerte, incluant deux concertos à quatre violons sans basse continue, avait déjà montré combien les cordes à nu, en format chambriste, peuvent charmer et émoustiller. Enrico Onofri poursuit la démonstration et la systématise, prouvant combien la gageure peut s’avérer gratifiante quand Telemann est à l’écritoire et quand elle est servie par une experte équipe à l’instar des fines lames d’Imaginarium. L’image de couverture (Le Maître d’armes de Jean-Baptiste Guélard) ne pouvait être mieux choisie pour illustrer ces joutes dont se dégage une ivresse hédoniste dans un décor de théâtre, miniature mais pas mignard.
Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne