La musique de chambre avec piano d’Artur Malawski : premières gravures mondiales
Artur Malawski (1904-1957) : Conte de fée pour violon et piano ; Burlesque pour violon et piano ; Trois Chants d’enfants pour voix et piano ; Sonate sur des thèmes de Feliks Janiewicz ; Trio pour piano, violon et violoncelle, et autres petites pièces. Sylwia Michalik, piano ; Malgorzata Wasiucionek-Potera et Kamila Wasik-Janiak, violon ; Adam Krzeszowiec, violoncelle ; Inga Poskuté, soprano ; Iga Polonska, mezzo-soprano. 2022. Notice en polonais et en anglais. 80.05. Un album de deux CD Dux 1831/32.
S’il jouit d’un certain prestige dans son pays natal où il a officié comme violoniste, chef d’orchestre et pédagogue dans les conservatoires de Cracovie et de Katowice, le nom du Polonais Artur Malawski n’éveille guère de souvenirs pour un mélomane occidental. Né à Przemysl, la cité la plus ancienne du sud de la Pologne après Cracovie, située non loin de l’Ukraine, le jeune Artur, qui apprend le violon localement, est élevé dans une famille où la musique tient une place importante. Son père joue en amateur de plusieurs instruments ; sa mère donne des leçons de piano. Il a seize ans, en 1920, lorsqu’il entre au Conservatoire de Cracovie. Impressionné par le Quatuor de Debussy, il compose en 1926 son Quatuor n° 1, qui est bien accueilli. Il donne des concerts de violon, mais un accident à la main gauche en 1934 le pousse vers la composition.
La copieuse notice, signée par la pianiste Sylwia Michalik, nous apprend qu’en cette décennie marquée par les débuts de personnalités comme Witold Lutoslawski ou Andrzej Panufnik, Malawski éprouve un sentiment d’infériorité. Malgré le succès de certaines de ses œuvres jouées en public, il décide de détruire ses partitions de jeunesse. Il a 32 ans. Il quitte Cracovie pour approfondir en peu d’années la composition et la direction d’orchestre au Conservatoire de Varsovie. Il produit alors de la musique symphonique, de la musique vocale et de chambre, mais son élan est interrompu par la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il habite dans plusieurs villes. Le conflit terminé, il retourne à Cracovie et y mène une vie active, enseigne la composition et la direction d’orchestre. Il fera de même à Katowice à partir de 1950. Parmi ses élèves, on relève les noms de Witold Rowicki, Jerzy Semkow ou Krzysztof Penderecki. Il décède inopinément en décembre 1957.
Maslawski laisse un catalogue qui se situe entre romantisme prolongé, où l’expressivité est une constante, et modernisme modéré en ces temps de réalisme socialiste. Son inspiration de jeunesse, nous l’avons dit, a été marquée par la découverte de Debussy, mais aussi de Ravel et Milhaud. En témoigne le subtil Conte de fée pour violon et piano de 1928, rare page conservée de cette première période, résolument mélancolique et lyrique, qui ouvre le programme. Tout le reste ici proposé date des décennies 1940 et 1950. Comme d’autres compositeurs du temps, son langage a été suspecté de formalisme, ce qui ne l’a pas empêché, comme l’explique Sylwia Michalik, de poursuivre avec courage la voie personnelle qu’il s’était créée, qui le place, aux yeux de la pianiste, parmi les représentants les plus importants du modernisme polonais avec, pour constante, de prenantes et profondes mélodies insérées, en particulier dans sa musique de chambre. On suit sans hésitation la pianiste dans son raisonnement à l’audition de la Sonate de 1951 pour violon et piano et du Trio de la même époque pour piano, violon et violoncelle qui occupent le second disque de l’album. Ces pages sont marquées par une forte intensité mélodique et expressive. La première s’inspire d’un thème chantant du violoniste et compositeur polonais Feliks Janiewicz (1762-1848), qui s’exila à Londres où il fit une belle carrière ; le Trio, de son côté, développe un style en pleine maturité, tant dans la forme qu’au niveau du son, avec des dialogues chaleureusement passionnés entre les instruments.
Une série de petites pièces occupent le premier volet de l’album, à commencer par le Conte de fée de 1928 déjà cité. Lui succède un Burlesque pour violon et piano de 1940, vibrante miniature enjouée. Place à la voix pour trois partitions. Nike of Chaeronea, pour mezzo-soprano et piano, qui date de 1943, évoque en cinq minutes austères le climat incertain de la guerre sur des mots rédigés par un ami ; c’est une page dissonante, voix plaintive à l’appui. Les vers du poète romantique Juliusz Slowacki (1809-1849) inspirent A la Mère en 1950, pour voix (mezzo), dans un langage émouvant et linéaire. Un an auparavant, Malawski a composé Trois Chants d’enfants pour voix (soprano) et piano, illustration délicate du travail de musique de scène du compositeur. D’autres pages pour violon et piano viennent s’ajouter à la découverte : un Andante e Allegro de 1949 en deux volets expressifs techniquement difficiles, une brève Mazurka de 1950 sous forme de danse populaire, ainsi qu’une postromantique et virtuose Sicilienne et Rondo sur des thèmes de Feliks Janiewicz, créateur déjà mis à l’honneur dans la Sonate de 1951. On reconnaîtra que ces différentes pièces, dont la plupart sont des premières discographiques, sont d’inspiration relative et n’atteignent pas la qualité de celles qui sont présentes dans le second disque de l’album. Leur intérêt est documentaire, mais elles ne nous paraissent pas prioritaires. Elles sont cependant un jalon de la création musicale polonaise du XXe siècle ; à ce titre-là, elles intéresseront les amateurs de musique de chambre qui aiment sortir des sentiers battus.
Il faut en tout cas saluer l’investissement de la pianiste Sylwia Michalik (°1986), véritable pilier de ce projet, qui est présente dans chaque page du programme et signe une notice érudite dans laquelle elle valorise la mémoire d’Artur Malawski. Elle a étudié à Lodz et à Varsovie, mais aussi au Conservatoire Royal de Bruxelles, au début de notre siècle, avec Jean-Claude Vanden Eynden. Elle fait partager à l’auditeur l’attrait qu’elle éprouve pour l’œuvre du Polonais, et transmet à chacun de ses dignes partenaires sa conviction et son enthousiasme communicatif.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 7,5 Interprétation : 9
Jean Lacroix