Anton Edvard Pratté sort de l’ombre  grâce à la harpiste Delphine Constantin-Reznik

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Anton Edvard Pratté (1796-1875) : Grand Concert en sol mineur pour harpe et orchestre ; Thème et variations sur un air populaire suédois ; Souvenir de Norvège. Delphine Constantin-Reznik, harpe ; Orchestre symphonique de Norrköping, direction Daniela Musca. 2020. Notice en anglais, en allemand et en français. 73.35. SACD BIS-2570.

La harpiste française Delphine Constantin-Reznik, qui a étudié au Conservatoire National de Boulogne-Billancourt et à la Hochschule für Musik und Theater de Zurich, est soliste dans l’Orchestre Symphonique de Norrköping depuis 2008, tout en se produisant régulièrement avec des formations scandinaves. Son intérêt pour la musique suédoise l’a amenée à découvrir l’œuvre d’un maître local tout à fait oublié, dont on cherche en vain le nom dans l’énorme Dictionnaire biographique des musiciens en trois volumes de Baker-Slonimsky paru chez Laffont/Bouquins. En ce qui nous concerne, nous avouons ignorer jusqu’à présent l’existence  de ce compositeur romantique, né en Bohême, dans une famille dont le père faisait des tournées jusqu’en Allemagne avec un théâtre de marionnettes dont il était le directeur. C’est ce que nous apprend la notice de Stig Jacobsson à laquelle nous empruntons quelques éléments. Il y est précisé que l’enfant, baptisé sous le nom de Johan Georg Pratte et né d’un premier mariage de son père, a été maltraité par celui-ci lorsqu’il convola en secondes noces, au point de s’enfuir et de disparaître à l’âge de dix-huit ans. Sa belle-mère l’a fait rechercher dès l’année suivante, le père étant décédé en 1815. Sans succès, semble-t-il.

On ne retrouve la trace du jeune homme qu’en 1821 lorsqu’il devient directeur du théâtre de l’actuelle ville polonaise de Wroclaw. Entretemps, il a changé de prénom pour un définitif « Anton Edvard » et a ajouté à son patronyme un accent aigu sur la voyelle finale, se faisant appeler désormais Pratté. Il semble que l’on n’ait pas de précisions quant à sa formation, mais il devient un excellent harpiste et compose pour cet instrument. Il voyage en Scandinavie et son écriture s’inspire d’airs locaux qu’il entend au cours de ses déplacements. Après avoir refusé un poste dans l’orchestre de l’Opéra Royal de Stockholm, il entreprend une tournée européenne à partir de 1846, notamment à Berlin, à Vienne et à Prague, où il retrouve sa famille avec laquelle il va se produire quelque temps. On lira les quelques autres détails biographiques reconstitués dans la précieuse notice. Pratté finira par se retirer dans un village à cinquante kilomètres de Norrköping, où il décédera ayant presque perdu la vue. Delphine Constantin-Reznik remet à l’honneur cette personnalité reconnue de son temps comme un des grands virtuoses de la harpe, à l’instar de Nicholas Bochsa (1789-1856) ou de Elias Parish Alvars (1808-1849). 

On prend conscience du talent de Pratté à l’écoute de cet ablum qui propose, en première discographique, un programme de trois partitions parmi celles, peu nombreuses, que l’on possède, aucune n’ayant par ailleurs été publiée de son vivant. Elles jalonnent trois périodes de sa vie. Le Thème et Variations sur un air suédois date de 1818, c’est en tout cas l’année de sa première exécution dans la ville universitaire d’Uppsala, lors d’un concert où auraient été données deux autres pages de sa composition. Basée sur une comptine locale, l’œuvre d’une durée proche des treize minutes se développe dans un contexte de grande fluidité, la harpiste déployant des sonorités rondes et franches parfois teintées de mélancolie ou de lyrisme délicat. Il en est de même pour le Souvenir de Norvège qui semble dater de la toute fin des années 1840 et se base sur quatre chansons folkloriques norvégiennes. Les mêmes qualités s’y retrouvent. La notice signale que c’était l’une des partitions préférées de Pratté qui la joua souvent en concert. 

Avant ces deux pages qui montrent la capacité du compositeur à utiliser les ressources de son instrument pour en faire jaillir un indiscutable charme mélodique, le Grand Concert avec orchestre, que l’on situe possiblement entre le milieu des années 1850 et la décennie qui suit, est introduit par un vaste Allegro con spirito de plus de vingt minutes. Il offre un geste large et une allègre virtuosité à une harpe aux accents chaleureux et généreux, soutenue par un orchestre séduisant, à l’orchestration romantique fine ou éloquente. Une Romanza pleine de tendresse précède une Polacca à la suédoise qui s’inspire avec fougue d’éléments folkloriques. 

Tout au long de ce parcours qui ne contient pas de chefs d’œuvre mais ravira les amateurs de harpe raffinée, Delphine Constantin-Reznik, bien servie par la prise de son, déploie un magnifique talent qui combine les arpèges avec aisance, dextérité ou expressivité. Elle apporte à ces pages inconnues une noblesse qui les met en valeur. L’Orchestre Symphonique de Norrköping, où, rappelons-le, elle occupe le poste de soliste, lui offre un bel écrin sous la baguette attentive de la romaine Daniela Musca. Un disque pour la rêverie ou le coin du feu…

Son : 10  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

    

 

   

 

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