Antonín Dvořák dans le Missouri
Antonín Dvořák (1841-1904) : Concerto pour violoncelle en si mineur, Op.104. B191 ; Klid, Op.68. N°5 ; Rondo en sol mineur, Op.94.B.181 ; Romance en fa mineur, op.11.B.39 ; Mazurek en mi mineur, Op.49.B.90. Zara Nelsova, violoncelle ; Ruggiero Ricci, violon. St Louis Symphony Orchestra, Walter Susskind. 1974. Livret en anglais. 63’18’’. VOX CD 3034 CD
Antonín Dvořák (1841-1904) : Concerto pour violon en la mineur, Op.53.B.108 ; Concerto pour piano en sol mineur, Op.33.B.63. Ruggiero Ricci, violon. Rudolf Firkušný, piano ; St Louis Symphony Orchestra, Walter Susskind. 1974 et 1975. Livret en anglais. 66’05’’. VOX NX 3035 CD
Nous avions particulièrement aimé certaines des rééditions par Naxos de quelques titres du catalogue Vox, particulièrement bien remasterisés en 192Khz/24 bits. Les parutions se suivent avec cette sympathique réédition de deux albums de concertos et de pièces solistiques d’Antonín Dvořák gravés à St Louis, dans le Missouri, sous la baguette experte du chef et compositeur pragois Walter Susskind (1913-1980). Ce dernier solide musicien qui parcourut le Nouveau monde musical des Etats-Unis à l’Australie en passant par le Canada, fut un collaborateur régulier de Vox et la plupart de ses disques sont dignes d'un grand intérêt.
Débutons cette évocation par le Concerto pour violoncelle en compagnie de l'Américaine Zara Nelsova (1918-2002), immense musicienne désormais trop oubliée. Dès la lecture de la quatrième de couverture du CD, on sent que le ton sera électrique et rapide avec une durée annoncée de 36’41’’ pour les trois mouvements, alors que la plupart des interprètes dépassent les 40 mn, voire flirtent avec les 45mn et les frontières de l'ennui. Certes, l'exercice du chronomètre n’est pas une donnée suffisante en matière d’interprétation, mais cela donne un indication de cette vision qui avance à bon rythme. On apprécie particulièrement ce Dvořák allant et claquant, porté par un élan motorique irrésistible et galvanisant. La sonorité de la soliste, puissante, tranchante et portée par un vibrato sec et très contrôlé, est un moteur essentiel à ce concept interprétatif. L’orchestre est puissant et rutilant mais jamais brutal et démonstratif. Walter Susskind et Zara Nelsova font de la musique pour de la musique, sans chercher à peindre des paysages languissants et démonstratifs comme tant de musiciens aiment le faire dans cette partition trop célèbre. C’est simple comme approche et c’est techniquement irréprochable. On retrouve cette approche concentrée, économe d’effets et léchée dans deux piécettes pour violoncelle et orchestre : Klid et le Rondo en sol mineur.
Autre exilé, Ruggiero Ricci (1918-2012), violoniste étasunien issu d’une famille italienne. Son approche du Concerto pour violon est à la fois virtuose et galvanisante. Tout comme avec Zara Nelsova, on est dans de la musique pure, avec une maîtrise technique qui avive cette partition, souvent envisagée sur un mode rhapsodique. L’orchestre est évidemment parfait et dirigé avec tout ce qu’il faut d’attention et de pugnacité. Le soliste prolonge cette excellence dans deux courtes pièces concertantes : la Romance en fa mineur et Mazurek en mi mineur.
Le pianiste Rudolf Firkušný (1912-1994) s’était fait une spécialité du superbe et trop peu connu Concerto pour piano et il en laisse quatre versions en live et en studio qui jalonnent sa carrière. Avec cette gravure de 1974, l’artiste retrouve la version urtext de l'œuvre pour sa partie de piano et non une version modifiée par Vilém Kurz qui fut pendant un moment la triste norme. Tout autant que d’autres partitions du compositeur, ce concerto a le pouvoir de suggérer des paysages et des images. La partie de piano est exigeante car jamais démesurément virtuose, elle nécessite autant l’imaginaire que la cohésion d’ensemble. Rudolf Firkušný en connaît les moindres recoins et sait parfumer son piano de saveurs et de poésie idéalement secondé par l’orchestre et son chef.
Le remastering est excellent et ces deux disques énergisants pourront trouver une belle place dans les discothèques.
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot