Les trois âges du concerto pour violon vivaldien, par un grand seigneur de l’archet baroque

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The three seasons of Antonio Vivaldi. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour violon en ut majeur RV 189 ; en ut mineur RV 197, RV 201 ; en ré majeur RV 210, RV 230 ; en ré mineur RV 240 ; en mi majeur RV 265 ; en fa majeur RV 289 ; en sol mineur RV 327, RV 330, RV 332, RV 333 ; en la majeur RV 343, RV 353 ; en si bémol majeur RV 367, RV 371, RV 380 ; en si mineur RV 390. Giuliano Carmignola, violon. Accademia dell’Annunciata, Riccardo Doni. Livret en anglais, français, italien. Mars 2021. Digipack trois CDs TT 63’36, 69’29, 76’16. Arcana A550

Se rappeler que Giuliano Carmignola débuta dans les Quatre Saisons voilà largement plus de cinquante ans, en 1968 sous la direction de Claudio Scimone, suffirait à accréditer sa longue pratique vivaldienne. Ensuite fructifiée auprès des Virtuosi di Roma, des Sonatori de la Gioiosa Marca… Et pourtant, le grand violoniste italien n’avait jamais enregistré aucun des dix-huit concertos assemblés dans ce triple-album, qui se structure selon trois périodes assignées à la carrière du Prete Rosso, expertement évoquées dans l’érudite notice signée d’Olivier Fourès, précieux conseiller musicologique de ce projet. La sélection s’arrime même le RV 289, annoncé ici en « première mondiale » (on y découvre une étonnante voltige de 32 notes en staccato !), de même que le RV 367 en sa version originale. Le florilège s’est attaché à intégrer les RV 210, 230, 265 et 332, chers au cœur du maestro trévisan.

L’anthologie parcourt l’évolution stylistique du Vénitien, en l’occurrence cristallisée en trois phases : virtuosité ostentatoire dans un goût théâtral, épanouissement du langage qui se cherche une identité, maturité esthétique au trait vif et parfois langoureux, qui tend à la minutie et à l’introspection. Cela dit en schématisant, sans pouvoir résumer ni synthétiser en une trajectoire univoque un inventaire aussi riche. Le parcours inclut dix tonalités principales dont quatre opus en sol mineur, et trois en si bémol majeur ; certains tirés de célèbres recueils (L’Estro armonico ; Il cimento dell’armonia e dell’inventione), d’autres provenant de sources plus rares, comme les RV 367, 371, & 390 arrachés à une ultime veine créatrice et conservés dans les archives d’une famille de noblesse lombarde qui acquit en Moravie le château de Brtnice.

En toute occasion, on apprécie bien sûr avec Giuliano Carmignola cette aisance de la diction, cette aristocratie de la phrase, cette éloquence princière qui nous ravissaient déjà dans l’album « Le Humane Passioni » pour le label Divox (août 1995). Le ton s’est peut-être durci, moins souple çà et là, l’agilité d’hier s’est peut-être rigidifiée. Du moins, l’intelligence et la vénérable expérience de l’artiste garantissent que les trois panneaux de ce retable seront visités et exposés sans négliger leur génie propre. Pour autant, on estimera certainement que les accointances se font plus patentes à mesure que l’on progresse dans la chronologie de cet éventaire, et que se complexifient tant l’écheveau que les humeurs de ces concertos. On saluera ainsi combien Giuliano Carmignola investit le virage climatérique du second CD, avec ses hauts plateaux (superbe lecture du RV 333), ses accès de crise (la théâtralité imposée à l’Allegro non molto du RV 330).

Dans le troisième volet, explorant des tonalités principales essentiellement en mineur ou bémol majeur, le soliste rivalise d’imagination avec les opus, les questionne en profondeur, au prix d’une certaine tension résultante. Le Pietro Guarneri de 1733 semble lui-même creuser sa patine et ses arômes, dans ce RV 371 qui distille une liqueur trouble, jusque dans les ultimes étapes où l’interrogation, et les alliances de teintes, se réfugient vers une émouvante intériorité. Nonobstant d’intrigantes bourrasques (finale du RV 327). Au terme du chemin, on toise l’involution qui nous amena de l’extraversion vers ce périherme. Épousant une pente imperceptible, Giuliano Carmignola nous a guidés comme le plus avisé des cicérones.

Après un album consacré à Felice Giardini et un autre intitulé Sonar in Ottava (avec la complicité du violoncelliste Mario Brunello), il s’agit de la troisième collaboration discographique de Giuliano Carmignola avec l’Accademia dell’Annunciata. Nos colonnes ont récemment évoqué, dans l’intégrale des Concerti grossi de Francesco Durante, comment cet ensemble (sur instruments d’époque ou copies d’anciens) sous la direction de Riccardo Doni se distinguait par une prestation robuste, aux couleurs laquées, par un relief expressif estompé, où l’élégance et la clarté de diction importaient plus que la fantaisie. Dans ce triptyque vivaldien, on retrouve un orchestre fiable, où la quinzaine d’archets assure un soutien à la fois cossu et apprêté, qui contraste avec la mode d’un accompagnement da camera et certes comblera les nostalgiques des I Musici des années 1970. Pas de quoi masquer, toutefois, certaines subtilités de texture (pizzicati du Larghetto RV 390), certaines finesses du continuo, comme les tissages de Laura La Vecchia (théorbe, guitare) dans le bref Adagio du RV 197. Dommage que la captation nous confronte à une image dure, qui épaissit le trait, manque d’air et de transparence, et ternit une palette pauvre en harmoniques, conduisant à indifférencier les timbres. Malgré la relative ingratitude de cette écorce sonore, on pourra étudier cette leçon, et se griser de la sensibilité prodiguée par le violoniste : un des grands seigneurs de l’archet baroque, à qui vont notre admiration et notre gratitude, tout au long de ce programme magistralement conçu et assumé.

Son : 7 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

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