Arnold Schönberg, démystifié avec Kirill Petrenko 

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Arnold Schönberg (1874 - 1951) : Die Jakobsleiter, oratorio pour solistes, chœur et orchestre ;  Kammersymphonie n°1. Op. 9, Concerto pour violon et orchestre. Op.36 ;  Variations pour orchestre. Op. 31 ; Verklärte Nacht. Op. 4 (Version pour orchestre de 1943). Patricia Kopatchinskaja, violin, Wolfgang Koch (Gabriel, baryton), Daniel Behle (Ein Berufener, ténor), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Ein Aufrührerischer, ténor), Johannes Martin Kränzle (Ein Ringender, baryton), Gyula Orendt (Der Auserwählte, baryton), Stephan Rügamer (Der Mönch, ténor), Nicola Beller Carbone (Der Sterbende, soprano), Liv Redpath (Jasmin Delfs, Die Seele, soprano), Rundfunkchor Berlin, direction : Gijs Leenaars, Berliner Philharmoniker, Direction :  Kirill Petrenko. 2019-2024. Livret en anglais et allemand. 147mn.  Berliner Philharmoniker BPHR 250511

En suite aux hommages de l’année 2025 qui voyait l’anniversaire des 150 ans de la naissance d’Arnold Schönberg, les Berliner Philharmoniker éditent un coffret reprenant une série de captations de concerts sous la direction de leur chef Kirill Petrenko, enregistrées entre 2019 et 2024 dans la grande salle de la Philharmonie de Berlin.  

Si vous trouvez que la musique d’Arnold Schönberg, parangon de radicalité, est aride et repoussante, ce coffret vous fera changer d’avis. Quant aux amateurs des modernités musicales, ils trouveront dans ce coffret matière à ouvrir d’autres perspectives interprétatives. 

La phalange berlinoise a toujours eu des atomes crochus avec cette musique qu’elle accompagne depuis le vivant du compositeur. Ainsi, si les Berlinois sous la baguette de Wilhelm Furtwangler avaient donné la première mondiale, en 1928, des Variations pour orchestre, Op.31,  ils ont rapidement mis à leur répertoire de nombreuses pièces du compositeur, peu de temps après leur création. Depuis les directeurs musicaux ont fait fructifier cet héritage : Herbert von Karajan avait gravé des albums légendaires dans Schoenberg, mais aussi Berg et Webern (DGG) et pour Claudio Abbado et Simon Rattle, la défense de cette modernité musicale était l’un des fondements de leurs programmations. 

Avec Kirill Petrenko, on entre dans une autre dimension. Le chef prend à bras le corps cette musique. Dès les premières mesures de la Nuit transfigurée, on est happés par une lecture passionnelle, véritablement dramaturgique. Fuyant une élégance analytique du geste, le chef tend l’arc dramatique, soufflant sur les braises de cette musique à programme, dont les personnages dansent dans une explosion suggestive digne d’une fresque de Klimt. Les couleurs des cordes de l’orchestre sont rouges et rauques, avec une densité instrumentale d’une force sculpturale. On a rarement entendu (depuis un live de Mitropoulos à Vienne- Music & Arts), un tel vécu humain dans cette musique, portée aux paroxysmes d’une narrativité primaire où les sens cèdent à l'intellect. 

On reste à ce niveau avec une lecture emportée de la Symphonie de chambre n°1. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l'ultra-virtuosité des pupitres capables de suivre toutes les inflexions d’un chef qui transcende la vision traditionnelle de cette œuvre manifeste. Tout comme dans la Nuit transfigurée, le vécu est encoretrès intense. C’est acéré comme un scherzo mahlérien, mais mené avec une énergie radicale d’un Schönberg qui se serait trop enivré ! Car sous la baguette de Petrenko, cette partition sonne avec une joliesse et une énergie renversante, ça piaffe, ça s'esclaffe et ça vit !  On a tellement entendu cette partition menée au strict métronome qu’il faut un temps pour s’adapter à ce torrent musical ! 

Pas de répit avec un autre album instrumental qui commence avec des Variations pour orchestre d’anthologie. Le récent live de Karajan avec ces mêmes Berlinois nous avait sidéré par cette précision luxueuse du geste, mais Petrenko a encore plus loin. Il sculpte la masse orchestrale comme un Calder ou un Tinguely envisageaient leurs incroyables structures mobiles, chaque trait instrumental est une pierre d’un édifice qui ouvre des lumières sur l'instrumentation. Mais l’artiste Petrenko garde toujours dans sa besace un soin aux timbres qui ne sont jamais froids et à une matière qui n’est jamais rigide. 

Le redoutable Concerto pour violon n’a jamais été très populaire. D’une difficulté ébouriffante pour la partie soliste et l’accompagnement orchestral, il est très difficile à transcender tant au concert, qu’au disque.  Patricia Kopatchinskaja se plonge dans cette partition, qu’elle revisite complètement. Certes, ce n’est pas au pied de la lettre, mais elle parvient à sauter de trait en trait comme dans une rapsodie dansée. Sa virtuosité brute lui permet de surmonter les difficultés créant un dialogue intense avec l’orchestre. La vision que l’on a de cette partition, est complètement remodelée, rarement une partition sérielle n’a sonné avec tant de beautés. 

Enfin, dans l’oratorio Die Jakobsleiter, Kirill Petrenko montre encore son degré de compréhension de musique. L’écriture orchestre se fait ici limpide et transparente, portée vers l’accompagnement des voix. Les solistes et les forces chorales, menées ainsi de main de maître, peuvent ainsi livrer une prestation d’anthologie qui s’impose comme la grande lecture de cette partition. 

Le coffret édité par le label des Berliner Philharmoniker est comme toujours un superbe objet réalisé avec un soin méticuleux. Outre les disques, des fichiers audio sont fournis ainsi que les captations vidéos de ces concerts. 

Il va sans dire que cette parution est un immense événement interprétatif et éditorial, de ceux qui changent radicalement la vision d’un compositeur en ouvrant de nouvelles perspectives.     

Son : 10   Notice : 10   Répertoire : 10    Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

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