Bach : quatre Choralkantaten autour de Pierre Hantaï, étape à Weimar pour Les Arts Florissants

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Gelobet sei der Herr, mein Gott BWV 129 ; Was willst du dich betrüben BWV 107 ; Was Gott tut, das ist wohlgetan BWV 99 ; Lobe den Herren, den mächtigen König der Ehren BWV 137. Dorothea Mields, soprano. Margot Oitzinger, mezzo-soprano. Florian Sievers, ténor. Matthias Vieweg, basse. Taipei Chamber Singers. Le Concert Français. Formosa Baroque. Pierre Hantaï. Septembre 2024. Livret en français, anglais, chinois ; paroles en allemand et traduction trilingue. 64’51’’. Paraty 2025006

A life in music vol 2. The Weimar years. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen BWV 12 ; Nun komm, der Heiden Heiland BWV 61 ; Himmelskönig, sei willkommen BWV 182. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : cantate Nun komm, der Heiden Heiland TWV 1:1178. Johann Michael Bach (1648-1794) : Nun komm, der Heiden Heiland, choral pour orgue. Paul Agnew, Les Arts Florissants. Miriam Allan, Violaine Le Chenadec, soprano. Maarten Engeltjes, Nicolas Kuntzelmann, contre-ténor. Thomas Hobbs, Benoît Rameau, ténor. Edward Grint, Anicet Castel, basse. Tami Troman, Liv Anna Heym, violon. Galina Zinchenko, Simon Heyerick, alto. Félix Knecht, violoncelle. Thomas de Pierrefeu, contrebasse. Anaïs Ramage, flûte à bec, basson. Nevel Lesage, Clara Espinosa Encinas, hautbois. Serge Tizac, trompette. Diego Salamanca, luth. Florian Carré, orgue continuo. Benjamin Alard, orgue de l’église Sainte-Aurélie de Strasbourg. Mai 2023. Livret en français, anglais, allemand. 77’46’’. Harmonia Mundi HAF 8902728

Tandis que l’ensemble genevois Gli Angeli de Stephan MacLeod, glanant dans six années de concerts, vient de publier chez Aparté un magistral coffret de la cinquantaine de Choralkantaten, ancrée dans la période 1724-1725, l’album Paraty nous propose un échantillon de cette production. Ce genre particulier de cantates se fonde sur de célèbres airs du culte luthérien : « combiner un structure musicale uniforme à la mélodie d’un cantique qui change ligne par ligne [tout en donnant] une impression de naturel et d’aisance », ainsi que le résume la notice de Peter Wollny. Sur des chorals écrits par Johann Olearius, Samuel Rodigast, Johann Heermann, Joachim Neander, les quatre cantates ici réunies s’inscrivent dans le long laps liturgique de la Trinité, entre la Pentecôte et Noël. Dosant l’apparat, le programme se referme sur la louange du Lobe den Herren, avec timbales et trompettes.

Rencontre de l’Asie et de la tradition européenne, c’est un attelage singulier qui est à la manœuvre, rassemblant trois ensembles sous la conduite de Pierre Hantaï : les Taipei Chamber Singers, actifs depuis 1992, Formosa Baroque, fondé par la flûtiste Yi-Fen Chen, et Le Concert Français dont les membres ont enseigné à l’équipe taïwanaise. On retrouve principalement celle-ci dans les pupitres de cordes impliqués dans cette session captée au Weiwuying, dans le district de Fongshan –un des plus vastes complexes culturels du monde, dont les quatre salles totalisent environ six mille fauteuils.

Troquant son clavecin (ici tenu par Dirk Börner) pour l’estrade, Pierre Hantaï dispense une articulation claire et lucide, mais toujours signifiante, –celle qu’il mettait déjà dans ses Variations Goldberg de juin 1992 pour le label Opus 111. Aucune sécheresse à craindre dans les épisodes choraux, confié à une vingtaine de chanteurs. On vérifiera cette suggestivité dans cette manière moins légère que souple de dessiner les ensembles, comme dans la plainte liminaire du Was willst du dich betrüben. Pourtant capable de cambrer le buste dans Auf ihn magst du es wagen, dont Matthias Vieweg n’hésite pas à souligner la rusticité.

Un violoncelle un peu spartiate mais fin rythmicien contribue aux arabesques des airs cousus main, comme le Gelobet sei der Herr par Dorothee Mields, tendrement façonné par le violon de Luis Otavio Santos et la flûte de Marc Hantaï. Derechef, beaucoup d’art avec Margot Oitzinger dans le duetto du BWV 99 et ses bouffées en trompe-l’œil. On succombera aussi à l’ensorcelante volute des souffleurs dans l’introduction de Was Gott tut. Difficile encore de résister à la vaillance de Florian Sievers, renvoyant Satan dans ses enfers pour un glorieux Wenn auch gleich aus der Höllen du BWV 107 : on y appréciera comment un accompagnement rogue et râpeux évoque le dépit du Prince des Ténèbres.

Dans la discographie surpeuplée de l’univers des cantates, les places sont chères pour nous apprendre du nouveau, ou reconduire le succès de nombreuses versions de référence. À la tête d’un consortium inattendu, loin de l’aride et du famélique, Pierre Hantaï réussit à éveiller l’intérêt et le plaisir autour de son entreprise. Délicatesse, précision des traits et hédonisme : l’équation n’est pas évidente, mais offre ici un fruit savoureux. S’il pouvait se transformer en panier, on accueillera volontiers d’autres livraisons du même verger franco-asiatique.

Au travers de ses cantates, planter quelques jalons dans une trajectoire qui culminera avec le Kantorat de Leipzig : après un premier volume qui n’avait pas totalement convaincu Jean Lacroix, la seconde étape se penche sur la période de Weimar. Bach débarqua en 1708 dans cette cité ducale de Thuringe, y fut nommé organiste, puis Konzertmeister en 1714. C’est de cette année que datent ses trois cantates proposées dans ce programme. Les influences italiennes (récitatifs, aria da capo, modèle tonal vivaldien) s’y font sentir, autant que la théâtralité du style français, même si l’ostinato et les chromatismes du chœur introductif Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen résonnent encore d’un douloureux archaïsme.

La Nun komm, der Heiden Heiland BWV 61 est mise en parallèle avec une cantate de Telemann, probablement contemporaine (le compositeur de Magdebourg se trouvait à Weimar pour le baptême de Carl Philipp Emanuel) et elle-aussi fondée sur le livret d’Erdmann Neumeister. Sur le même texte pour l’Avent, un choral de Johann Michael Bach est joué par Benjamin Alard sur l’orgue de l’église Sainte-Aurélie de Strasbourg. La Himmelskönig, sei willkommen illustre le Roi des cieux, dans le contexte liturgique du Dimanche des Rameaux.

Paul Agnew reste fidèle à ses options : des effectifs congrus mais légitimes (à la Cour de Weimar, Bach disposait d’une quinzaine d’instrumentistes et chanteurs) avec chœur réduit à deux par partie, et l’ambition d’observer des tempos plutôt vifs, sauf à disséquer l’introduction du BWV 12 dans une âpreté maniériste. Dans la BWV 182, le Jesu, deine Passion manque d’envolée, de rayonnement, et le coro final, malgré la pétulante flûte à bec d’Anaïs Ramage, sonne un peu raide pour une musique aussi festive.

Sans remettre en cause l’intérêt de ce projet chronologique, la riche discographie des œuvres appelle à l’exigence de l’auditeur. On devra alors avouer qu’entendre les solistes vocaux soulève les mêmes réserves que pour le premier volume, quand soprano et ténor n’offrent pas un timbre et une émission des plus flatteurs. Sous cet aspect, attendons un prochain volume plus abouti.

Christophe Steyne

Paraty = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 9,5

Harmonia Mundi = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 7

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