Une vie de Bach en musique par Les Arts Florissants : premier volet

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Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Cantates de jeunesse : Christ lag in Todes Banden BWV 4 ; Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit BWV 106 (Actus Tragicus) ; Nach dir, Herr, verlanget mich BWV 150 ; Chorals pour orgue BWV 718, 742 et 1107. Johann Kuhnau (1660-1722) : Cantate Christ lag in Todesbanden. Miriam Allan, soprano ; Maarten Engeltjes, contreténor ; Thomas Hobbs, ténor, Edward Grint, basse ; Benjamin Alard, orgue ; Les Arts Florissants, direction Paul Agnew. 2022. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes des cantates inclus, avec traductions française et anglaise. 73’ 16’’. Harmonia Mundi HAF 8905364. 

Comme l’explique Paul Agnew dans une longue introduction, le présent album est le premier d’une série qui vise à mieux comprendre la vie, la personnalité et les influences culturelles de Jean-Sébastien Bach. Ce sera sous la forme d’un voyage au départ d’Eisenach, qui conduira les Arts Florissants à Arnstadt, Mühlhausen, Weimar, Köthen et Leipzig, cités dans lesquelles le compositeur occupa diverses fonctions. Avec un intérêt pour des pages de créateurs contemporains, ce premier volet proposant aussi une œuvre de Johann Kuhnau, qui précéda Bach à Leipzig comme Thomaskantor. On lira, dans les lignes rédigées par Agnew, des confidences sur son expérience personnelle de Bach, ainsi que des questions qu’il se pose quant à l’interprétation et aux effectifs musicaux. En fonction des moyens dont le Cantor disposait dans les différents lieux, ces ressources dictaient dans la pratique la musique qui pouvait être jouée et, par extension, composée

Centré sur la période 1703 à 1708, le programme propose trois cantates de jeunesse, difficiles à dater avec exactitude. Il débute par la BWV 4, Christ lag in Todes Banden (« Christ gisait dans les liens de la mort »), créée à Mülhausen en 1707 ou 1708. Bach souhaitait quitter Arnstadt, où il était en fonction depuis quatre ans ; il était en froid avec la municipalité suite à divers incidents. De cette localité de petite taille, le meilleur souvenir de Bach sera la rencontre de sa première épouse, Maria Barbara, qui décédera en 1720, âgée de 36 ans. Cette BWV 4, série de variations sur un choral de Pâques de Martin Luther, était destinée à convaincre les responsables de Mülhausen, cité plus importante de Thuringe, de ses hautes capacités. Bach n’y restera finalement qu’un peu plus d’un an, Weimar étant l’étape suivante. A la tête d’un effectif réduit, Paul Agnew en propose une version aux timbres équilibrés et aux couleurs chatoyantes, dans la Sinfonia comme dans les sept versets qui suivent. On est frappé d’emblée par une vitalité collective, dont le dynamisme généreux, s’il est le bienvenu, n’est pas toujours contrôlé. L’aspect somptueux est bien au rendez-vous, mais la soprano, malgré son engagement, n’est pas toujours à l’aise, son timbre étant parfois un peu acide. Les autres voix s’en tirent mieux, en particulier la basse Edward Grint, dans l’aria contrastée qui lui est attribuée.

On retrouve la même ambiance dans la BWV 150, Nach dir, Herr, verlanget mich (« Vers toi, Seigneur, je m’élève »), construite autour du psaume 25 pour les passages choraux, et de textes libres pour les arias ; elle pourrait avoir été composée à Weimar entre 1708 et 1710. Avec un message : le croyant doit conserver sa foi, avec l’aide de Dieu, même s’il est dans la détresse. Ici, le dynamisme devient de l’agitation, l’imploration perdant de ce fait de sa capacité poétique. La BWV 106, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (« Le règne de Dieu est le meilleur de tous »), a sans doute été écrite à l’occasion, en 1708, des funérailles d’un notable local de Mülhausen. Les textes de cet Actus Tragicus, un arrangement de versets de l’Ancien Testament et des Évangiles, vivent dans un climat global de sérénité, de réconfort, de douceur et d’espérance. C’est hélas le moment le plus décevant de l’album, une instabilité et même une certaine affectation se font jour au niveau de l’expressivité artistique, qui est globalement en berne. La portée de l’œuvre s’en ressent.

Entre chaque cantate, on découvre un choral joué sur l’orgue de l’église Saint-Vaast de Béthune par Benjamin Alard, originaire de Rouen (°1985), dont l’intégrale du corpus de Bach est en cours. Ces trois chorals de jeunesse, le BWV 718, sans doute de 1706, portant le même titre que la cantate BWV 4, sont interprétés avec une luminosité chaude qui fait corps avec la souplesse et la tendresse. C’est le cas aussi pour la cantate de Kuhnau, écrite en 1693, le Saxon étant alors organiste titulaire de Saint-Thomas à Leipzig. Paul Agnew en souligne la simplicité de style un peu archaïque, et se demande, dans une note, comment le public de la même cité, où Bach, avec sa maturité affirmée, est arrivé après le décès de Kuhnau en 1722, a réagi en découvrant son Magnificat pour la Noël de l’année suivante. Un univers supérieurement qualitatif lui était en effet proposé.

Ce premier jalon de la série initiée par Les Arts Florissants nous laisse, on l’aura compris, un peu sur notre faim pour les motifs que nous avons esquissés. On attendra la suite du projet pour se faire un jugement plus approprié. 

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 7,5

Jean Lacroix 

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