Cérémonie d’inauguration des deux nouveaux orgues de la Cathédrale de Mayence

par

Mainzer Dom. Festkonzert für Weihe der neuen Domorgeln. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Praeludium & Fuge en ré majeur BWV 532. Adagio de la Sonate en trio en mi mineur BWV 528. Guy Bovet (*1942) : Doce Tangos Ecclesiasticos. Charles-Marie Widor (1844-1937) : Allegro vivace & Toccata [Symphonie no 5 en fa mineur Op. 42 no 1]. Julius Reubke (1834-1858) : Sonate sur le Psaume 94 en ut mineur. Daniel Beckmann, orgues Goll & Rieger de la Cathédrale Saint Martin de Mayence. Livret en allemand, anglais. Août 2022. TT 73’22. SACD Aeolus AE-11381

À l’instar de l’histoire mouvementée de cette cathédrale millénaire, de son architecture à double-chœur, de ses vastes et multiples espaces à sonoriser (plus de dix secondes de réverbération), tant pour le culte, les protocoles, que les concerts : la question des orgues du Mainzer Dom est… compliquée. Comme pouvait l’être la gestion alambiquée des consoles activant plusieurs plans de tuyaux localisés dans les quatre points cardinaux (nord et sud dans la nef, chœurs ouest et « orienté »), après les travaux de 1960 qui étendirent l’orgue installé par la société Klais en 1928. Dotée de six claviers, la console de la galerie sud pilotait l’ensemble, du moins pour les organistes capables d’en maîtriser les ressources gigognes et les frasques acoustiques.

Pour rationaliser et discipliner cette pieuvre, une refonte fut décidée, et le marché attribué en 2018 aux sociétés Goll et Rieger. L’orgue « historique » du chœur ouest sera bientôt intégré à cette hydre de quelque deux cents jeux. En l’état actuel, la chapelle Sainte Marie loge un nouvel instrument de 49 jeux façonnés par la maison Goll, propices à accompagner le chant et à élucider l’intelligibilité polyphonique. En contrepoids à l’esthétique germanique du chœur occidental, la section orientale tout récemment conçue par Rieger s’inspire de l’école française et en particulier de Cavaillé-Coll, moyennant quelques concessions à la facture anglo-américaine (sept rangs de « cordes », Flûtes, Diapasons et anches à forte pression, percussions comme carillon et marimba). Pour connaître les fascinantes innovations et les innombrables fonctionnalités de cet orgue en conglomérat, on consultera la notice touffue de Daniel Beckmann, qui ne tarit pas d’éloge et invoque un changement de paradigme par rapport à la précédente configuration qu’il a pratiquée pendant douze ans : « on n’entend plus différents orgues, ils fusionnent en un seul quand on les joue ensemble ». Un chef-d’œuvre d’ingénierie en tout cas.

Capté live le 21-23 août 2022 lors des festivités de consécration en présence de l’évêque de Mayence, le présent album déploie un programme qui interroge la polyvalence de cet instrument tentaculaire. Il reste une gageure pour les micros et le mixage. Pour l’auditeur (nous avons écouté le support SACD en bicanal), on doit avouer que la physionomie sonore suggère certes l’immense volume du lieu, sa majestueuse résonance, mais manque de densité et de relief pour s’épanouir pleinement. Hélas, rançon de cette dynamique compacte et tassée, on aurait aimé palper davantage de chair dans le diptyque de Bach, qui se présente lointain et affadi, d’autant que l’approche symphonique défendue par l’interprète évide un propos frêle et décousu, qui rappelle les pompeux arrangements de William Thomas Best (1826-1897). On notera que Prélude et Fugue sont séparés par l’Andante de la Sonate en trio en mi mineur, délicatement nuancé.

La pièce principale s’avère servie de façon plus convaincante, même si pas totalement : phare du romantisme allemand, la Sonate de Reubke profite ici d’une lecture chaleureuse et riche d’atmosphères, quoique certaines sections tendent à s’enliser, affinent des dégradés à la limite de l’imperceptible, ou manquent de projection. Une antithèse à la fermeté néoclassique d’Halgeir Schiager à Oslo, et qui ne remet pas en cause les références gravées par l’intense Jean Guillou à New York (Dorian, 1987), par le flamboyant Günther Kaunzinger à Waldsassen (Novalis, novembre 1999), ou par Christian Schmitt au KKL de Lucerne (Ars Musici, juillet 2001), dans une veine analytique et tranchante.

Le versant contemporain de ce récital invite deux « tangos ecclésiastiques » de Guy Bovet, dont le langage et les titres ne dissimulent pas l’humour relativiste, notamment celui pour pédalier solo, dédié aux « barbares teutons qui écrasent la musique avec les pieds ». Widor est plus attendu, et se trouve représenté par deux extraits de sa célèbre cinquième symphonie : une exécution sérieuse, mais éventée, du liminaire Allegro vivace à variations. Et pour conclure, l’inévitable Toccata finale, récompensée par les acclamations de l’assistance.

Tel quel, ce disque reflète que l’illustre cathédrale rhénane et ses notoires contraintes spatiales n’apprivoisent pas tous les répertoires avec le même bonheur, et que l’attrait in situ d’un concert ne passe pas forcément la rampe, malgré le génie des deux nouveaux instruments et malgré les efforts techniques et artistiques pour nous associer à leur inauguration. On espère que le valeureux Daniel Beckmann et l’audiophile label Aeolus nous en offriront bientôt un autre portrait, émancipé des circonstances.

Son : 6,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 à 10 – Interprétation : 5 à 9

Christophe Steyne

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