Charpentier digne des sculptures de Bernini, et la découverte d’un Te Deum de Desmarest

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Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Te Deum H. 146. Henry Desmarest (1661-1741) : Te Deum « de Lyon ». Jehanne Amzal, Eugénie Lefebre, soprano. Clément Debieuvre, François-Olivier Jean, haute-contre. François Joron, taille. Jean-Christophe Lanièce, David Witczak, basse-taille. Ensemble Les Surprises, Louis-Noël Bestion de Camboulas. Livret en français, anglais, allemand. Décembre 2022. TT 51’15. Alpha 10

Cela fait plus de 70 ans que Louis Martini chez Erato révéla le plus connu des quatre Te Deum qui subsistent de Marc-Antoine Charpentier. D’emblée un succès, porté par le générique de l’Eurovision, auquel de nombreux enregistrements emboîtèrent le pas. Jean-Claude Malgoire (CBS), William Christie (Harmonia Mundi), Marc Minkowski (Archiv) marquèrent différents jalons de la pratique historiquement informée. D’autres témoignages, comme Martin Gester et son Parlement (Opus 111) ou très récemment Valentin Tournet et La Chapelle Harmonique (CVS), ont enrichi une discographie globalement de haute qualité. 

Mais pas au point de faire la fine bouche face à une nouvelle version. Et celle-ci nous a conquis par son allant, sa cohésion esthétique intégrant dans un radieux geste unificateur les ressorts festifs et la dévotion intime. Par exemple celui des trois premiers volets, portés d’un même souffle. On saluera une distribution vocale non seulement sans faille mais délectable. Le cérémonial sait se faire attendrissant : superbe trio de Clément Debieuvre, François Joron et Jean-Christophe Lanièce dans Te per orbem terrarum, avec une pointe de candeur qui évite tout alanguissement. Voire poignant : le Te ergo quaesumus de Jehanne Amzal qui passe comme un songe, nébulisé sur une soie de flûte à bec. Car c’est un des secrets de cette interprétation de tout faire avancer sans jamais s’appesantir, et d’en tirer un bonheur expressif de tout instant, contrairement à des lectures qui tendent à scléroser le texte dans l’apparat (à l’instar du remake de William Christie, -on admire trop son premier témoignage pour ne pas avouer la déception face à la séquelle chez Virgin).

Louis-Noël Bestion de Camboulas ne fige pas la partition dans la maniera, mais préserve la spontanéité du mouvement, comme une sculpture d’après nature, à la fois souplement guidée et tendue par la puissance de l’évocation. « Une illumination qui semble celle de la flamme intérieure, en sorte qu'à travers le marbre transfiguré qui palpite, on voit luire comme une lampe l'âme inondée de félicité et de ravissement » écrivait Hippolyte Taine dans le passage de son Voyage en Italie consacré à la Chapelle Cornaro. Tant ce Te Deum magnifié par Les Surprises, canalisant l’énergie des formes dans une grâce lumineuse et extatique voire, si l’on osait, érotisée, nous fait penser au chef-d’œuvre de Gian Lorenzo Bernini : cette transverbération de Sainte Thérèse. Enclose dans la gironde verticalité des colonnades polychromes, la carmélite irrésistiblement terrassée par la béatitude. Cette prestation a tout du trésor quand son chant de louange célèbre la noce d’un suave mysticisme et d’un flamboyant dynamisme. Cette alliance de clarté du dessin et de chaleureuse italianité s’inscrit désormais parmi les meilleures références du catalogue.

Le programme est complété par un autre Te Deum, celui d’Henry Desmarest, annoncé en premier enregistrement mondial. Baptisé « de Lyon » car il est conservé dans le fonds de l’Académie des Beaux-Arts. Probablement écrit en l’honneur de Marie Leszczynska, bientôt épouse de Louis XV, alors que le compositeur officiait à la Cour de Lorraine, auprès de Léopold Ier comme surintendant de la musique à Lunéville. Davantage de versets, brièvement illustrés mais contrastant la variété de ton et de nomenclature, façonnent ce grand motet comme une mosaïque. L’émotion est aussi palpable que sincère, quitte à un Miserere nostri Domine un peu transi. Là encore, mais dans une structure plus morcelée que chez Charpentier, chœur et solistes distillent une éloquence où la nuance vaut plus que l’éclat. Depuis le Prélude jusqu’à la pompe finale du In te Domine speravi, en n’oubliant pas un Te gloriosus Apostolorum irradié par Eugénie Lefebvre, l’équipe sert le projet avec un enthousiasme et une maîtrise stylistique qu’il sera difficile de surpasser.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Ensemble Les Surprises – Louis-Noël Bestion de Camboulas

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