Cinq Sonates de Steffan, dont la « Mariazeller Prozession » qui nous promène dans les alpes autrichiennes

par

Joseph Anton Steffan (1726-1797) : Cinq Sonates, en sol mineur, sol majeur, ut mineur, si bémol majeur. Mitzi Meyerson, clavecin. Livret en anglais, français, allemand. Août 2019. TT 79’29. Glossa GCD 921810

Au-delà de ses succès dans le répertoire balisé, Mitzi Meyerson aime exhumer les trésors. Au sein de sa discographie qui excède soixante albums, comme soliste ou continuiste, on se souvient de son Sets of Lessons for the Harpsichord chez Glossa, consacré au Britannique Richard Jones. Dans le livret, elle nous explique combien elle aime fureter dans les bibliothèques, notamment celle de Berlin où elle débusqua ces partitions tirées d’un second Livre daté de 1760. Le patronyme de Steffan connait plusieurs graphies (Josef Antonín Štěpán par exemple). Le Comte Schlick prit sous sa protection le garçon natif de Bohême, l’emmena à Vienne. Il y étudia avec Georg Christoph Wagenseil (1715-1777) auquel il succéda comme musicien officiel de la Cour. Avec Johann Georg Albrechtsberger, il devint un des grands claviéristes de l’empire, avant une cécité qui l’affligea en 1775. En reconnaissance de son talent, Marie-Thérèse lui fit alors verser une substantielle pension jusqu’à la fin de ses jours. Il n’oublia pas ses racines : l’argent de son héritage bénéficia à l’éducation musicale des enfants de son village natal de Kopidlno, dans la région de Hradec Králové, à quelque 70 km au nord-est de Prague.

Il composa dans divers genres : symphonie, concerto (notamment un si bémol enregistré en novembre 1994 par Andreas Staier et l’ensemble de Cologne chez Teldec), musique sacrée, Singspiel. Et bien sûr pour le clavier, à une époque où le clavecin cédait ses prétentions devant le pianoforte. Peu d’interprètes prirent soin de porter ses pièces devant les micros. On se rappellera quelques microsillons pionniers : au milieu des années 1960 pour Supraphon, Dana Šetková se penchait au piano sur une sonate « en mi bémol majeur », celle qui se trouve sur le présent CD indiquée dans la tonalité relative d’ut mineur. En hommage à cette artiste qui s’évertua à exhumer les œuvres de son pays natal, Christine Sartoretti confiait trois Sonates au label Dorion (2001), sur clavecin. On citera aussi sur fortepiano le témoignage de Robert Hill chez MDG en 1999, alternant Sonates et Capriccios. Et plus près de nous, le double-album d’Edoardo Torbianelli chez Pan Classics, capté à Bâle en octobre 2009. En novembre 1975, Rudolf Bernatík grava pour le label tchèque une anthologie incluant déjà la Sonate en sol qui introduit le programme de Mitzi Meyerson. Elle est surnommée « Mariazeller Prozession », allusion au sanctuaire de la Basilique de la ville de Styrie, honoré par les Habsbourg et réputé pour son pèlerinage à la Vierge.

Le manuscrit mentionne des didascalies qui en font une pièce programmatique. Nous situerons ci-après les minutages pour permettre à l’auditeur de s’y retrouver. L’interprète explique comment elle a restitué les annotations du premier mouvement (La Procession de Marie, La Préparation de la dévotion) qui propose une excursion pour arriver au lieu de culte : mutations du tempo de l’allegro (plage 1) qui traduisent l’ascension (3’11, hinauf) puis la descente (3’47, hinab) du relief de l’Annaberg. Même dénivelés pour le Josefsberg (8’18) dont l’escalade est figurée par des gruppetti à la main gauche, reflet de l’effort du pèlerin, avant la descente (8’56). On pourrait presque retracer le chemin sur une carte topographique ! Le mouvement suivant (plage 2) invite un prédicateur pour un andantino mélodieux, aux effets faciles (basses d’Alberti). Pour le dernier (plage 3), Mitzi Meyerson précise qu’elle a utilisé les changements de registre pour varier le volume lors de l’hymne, confiée successivement à la voix du pasteur et au chant de la congrégation (0’06). Se décline ensuite un thème et ses deux variations (0’51, 1’41), là encore dans un décor de dévotion mâtiné de galanteries, sur une guise de menuet. Un gracieux cantabile (4’06) précède un poco presto (5’17) abordé avec une ampleur qui aurait peut-être mérité de s’activer davantage pour souligner la joie des fidèles que Steffan a certainement voulu imager ; en tout cas Mitzi Meyerson conclut l’œuvre dans une perspective radieuse. On ne détaillera pas les cinq Sonates mais mentionnons une autre, illustrative quoique d’un tout autre acabit, celle en si bémol majeur : elle évoque le miaulement d’un chat !

Tout au long de ce CD plein comme un œuf, Mitzi Meyerson fait bien percevoir la richesse harmonique et la gourmandise de ces pages, qui peut-être gagneraient à être parfois brusquées dans leur débit, leur célérité, pour s’apparier au remarquable travail sur le contraste dynamique. La claveciniste américaine semble ainsi davantage répondre à l’esthétique de l’Empfinsamkeit que du Sturm und Drang, ce qui n’est pas un reproche tant elle s’acquitte avec raffinement, et après tout, avec vigueur. Magnifiquement capté, l’instrument s’avère le complice idéal pour choyer ce compositeur dont le style et les appas s’accomplissent au mieux sur un clavecin. Surtout quand il est aussi séducteur que ce spécimen de 2009 d’inspiration franco-flamande à quatre jeux sur deux claviers : superbement souple, présent et coloré, disposant de toutes les ressources nécessaires (le jeu luthé dans l’Andante de la Sonate en ut mineur).

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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