Claustrophobie et promiscuité à Strasbourg
« De la maison des morts » est le cinquième opéra du cycle Janacek mis en scène par Robert Carsen, cycle initié en 1999 au Vlaamse Opera (Opéra de Flandre - Belgique) sous la direction artistique de Marc Clémeur. « Jenufa », « La petite Renarde rusée» et « Kat’a Kabanova » ont déjà suivi Marc Clémeur à Strasbourg, « L’Affaire Makropoulos » s’y est jointe en 2011 avant que Robert Carsen ne propose maintenant « De la maison des morts ». Côté mise en scène, Carsen voulait rester universel, ne pas citer trop de références, et surtout explorer le côté anonyme de la masse de prisonniers d'où s’extrait soudain un individu avant d’y retourner. Avec Radu et Miruna Boruzescu (décor et costumes), il a opté pour un décor unique et sobre : de hauts murs de pierre grise pour faire ressentir au public la claustrophobie et la promiscuité forcée des prisonniers. Il nous présente un groupe d’hommes en uniforme (vêtement sombre et pesant, crâne rasé) menant les mêmes activités, dans un univers clos et sans couleur qu' un rayon de soleil éclaire brièvement. Soudain, une figure sort des rangs. Les autres l’entourent dans une chorégraphie naturelle (Philippe Giraudeau) et l’écoutent. Puis le groupe se referme et l’individu s’y perd . Si j’ai une réserve à formuler à propos de cette mise en scène qui vous agrippe et dont la tension ne se relâche à aucun moment, c’est qu’il y a un peu trop d’uniformité, que les différents personnages manquent parfois de profil et sont difficiles à distinguer. Mais Carsen propose une lecture très stricte où ni la fête ni le théâtre joué par les prisonniers ne se brisent pas la grisaille. L’aigle, symbole de la liberté qui est relâché à la fin, s’envole dans la salle et les prisonniers retournent à la tâche.
Janacek a écrit à la première page de la partition « en chaque homme une étincelle divine » et cet amour pour l’humanité se reflète dans sa musique, une des plus précieuses et fascinantes du 20e siècle. Sous la direction de Marko Letonja, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg en a donné une lecture pleine d’émotion et de force dramatique, de couleurs changeantes et de vitalité. La distribution, exclusivement masculine (le rôle de Aljeja confié ici au un ténor Pascal Charbonneau), est homogène et convaincante et ils ont évoqué sans peine, avec les Chœurs de l’Opéra National du Rhin, le huis clos de la colonie pénitentiaire. Dans les rôles principaux, on remarque particulièrement Peter Straka (Filka), Martin Barta (Chichkov), Nicolas Cavalier (Gorjantchikov), Guy de Mey (Chapkine), Andreas Jäggi (Skuratov) et Patrick Bolleire (le Commandant).
Erna Metdepenninghen
Strasbourg, Opéra National du Rhin, le 27 septembre 2013