Rencontre : Ludger Böckenhoff à propos des 40 ans de "Audite", label de l'année 2013

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Ludger Böckenhoff, directeur général de Audite (D.R)

LOGO ICMA2Le Label allemand « Audite » a remporté le prix « Label de l’année » aux International Classical Music Awards 2013. Fondé il y a 40 ans, Audite s’est imposé comme l’un des labels majeurs de la scène européenne par la qualité de ses publications et par son grand soin éditorial. Ludger Böckenhoff, directeur général de « Audite », nous parle de son histoire et de ses projets.

Audite a été fondé en 1973 par Friedrich Mauermann. Sa création a pris place dans une période où le marché de la musique était dominé par ceux que l'on appelle les « majors » et, il n'était pas facile, pour un nouveau label indépendant, de trouver sa place. Mais l'équipe réunie autour de Friedrich Mauermann fit un travail remarquable et, lorsqu'en 2000, Ludger Böckenhoff lui succéda, le label était fermement établi. Le nouveau propriétaire a remporté le challenge au sein des nouveaux nombreux labels et d'une diminution des ventes du disque.

- Vous avez été choisi comme « Label de l’année » des International Classical Music Awards 2013. Qu’est-ce que ce prix signifie pour vous?
Nous sommes très honorés! Notamment parce que le jury des ICMA est indépendant et composé de journalistes spécialisés dans la musique classique. Cette récompense nous encourage à poursuivre notre travail. Au cours de nos 40 ans d’existence, nous avons augmenté notre catalogue et acquis une réputation internationale. Le prix rend hommage à tous les artistes Audite et bien sûr à l’ensemble de l’équipe.

- Audite publie à la fois des nouveaux enregistrements par des artistes d'aujourd'hui et des archives provenant de radios. Comment équilibrez-vous ces deux types de publications?
Ces deux domaines sont délibérément entrelacés. Par exemple, nous avons commencé l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven avec le Quartetto di Cremona et, dans le catalogue historique, nous avons  présenté ces mêmes oeuvres avec le Quatuor Amadeus. En outre, même en l’absence d’un lien direct entre les productions, les nouveaux enregistrements sont présentés à la suite de leurs illustres prédécesseurs. La répartition entre les enregistrements nouveaux et les historiques change chaque année, il n’y a pas d’équilibre fixe. Mais, en gros, il s’agit probablement d’une division entre 60% d’historiques et de 40% de nouveaux enregistrements.

- Quelle est votre méthode de sélection des archives pour publication?
Nous sommes en contact avec de nombreuses archives de radio, en particulier en Allemagne. Avec certains, nous avons une coopération étroite, par exemple avec la Radio de Berlin, où des collaborateurs indépendants recherchent pour nous des archives. Au final, je décide personnellement des parutions en fonction de la qualité des interprétations, de la qualité techniques de l’enregistrement, et du contexte discographique. Nous utilisons les bandes originales qui nous assurent une très haute qualité technique. En outre, la plupart de nos productions historiques se compose de matériel non encore enregistré. Si certaines bandes ont déjà été publiées, ce sont des copies privées de mauvaise qualité. Si le même répertoire avait déjà été publié officiellement et dans de bonnes conditions techniques,  je m’assure toujours qu’Audite offre une alternative substantielle en termes de contenu musical.

- Dans quel état trouvez-vous ces bandes? Quels traitements leur appliquez-vous pour obtenir une qualité sonore optimale?
La qualité des bandes diffère évidemment mais la plupart sont dans un excellent état et c'est la raison pour laquelle nous utilisons les bandes originales. De nombreuses bandes sont à 76 cm/s, ce qui assure la plus haute qualité, même si nous parlons d'enregistrements du début des années 1950. En outre, ces bandes ont été conservées de façon professionnelle dans les archives officielles. Un facteur important pour la qualité de la bande est son âge : au début des années 1950, il y a eu une amélioration importante et générale de la qualité  des enregistrements. En ce qui concerne la remasterisation, je choisis toujours avec soin le traitement que j’applique et le celui dont je m’abstiens. L’objectif est d’obtenir la meilleure qualité sonore, mais aussi de préserver la valeur documentaire d’un enregistrement. La correction la plus importante et la plus courante concerne la hauteur du son du début des années 1950 dont résultent des changements de tempi et de durée de l'oeuvre. J’applique soigneusement un traitement de réduction du bruit et des clics et j’utilise toujours des techniques d’assemblage entre deux mouvements pour égaliser le bruit de fond. Je dois rarement adapter le son. Dans le domaine de la correction du son j'ajoute exceptionnellement de la réverbération. Mais le but  est d’améliorer l’idée du son historique et surtout  pas de l’adapter à nos habitudes d'écoute actuelles.

- Cette année, vous allez célébrer le 50e anniversaire de la mort du chef d’orchestre Ferenc Fricsay. Beaucoup de ses enregistrements sont déjà dans votre catalogue. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet  de son importance dans la vie musicale de Berlin?
Etant un chef d'origine austro-hongroise, Ferenc Fricsay a principalement travaillé en Hongrie, en Autriche et en Allemagne. Il a fait ses débuts en Allemagne en 1948 à la Städtische Oper de Berlin et puis avec le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, le Philharmonique de Berlin et le RIAS-Symphonie-Orchester. En Septembre 1949, il a été nommé directeur musical général à la Städtische Oper de Berlin et premier chef du RIAS-Symphonie-Orchester, créé deux ans plus tôt. Ferenc Fricsay était une sorte de « contre-concept » de Wilhelm Furtwängler. Ils ont, tous les deux façonné la vie musicale à Berlin après la guerre. A l’inverse de Furtwängler, Fricsay suivait strictement la partition, il a pris beaucoup moins de liberté dans le rythme, le choix des tempi et ainsi de suite. Ainsi, ses interprétations révèlent le côté « authentique » de la musique. Il combinait un style de direction extrêmement énergique mais avec un détachement personnel. Son large choix de répertoire a introduit dans l'Allemagne d'après-guerre des compositeurs qui font désormais partie des « classiques » tels Bartók, Schönberg, etc..  Fricsay était extrêmement important pour la vie culturelle d’après-guerre à Berlin. Il a eu un impact durable sur le RIAS-Symphonie-Orchester qu’il a mené à une réputation internationale.

- Quels sont vos projets concernant les enregistrements historiques?
Dans un futur proche, nous allons publier un coffret avec l'intégrale des quatuors à cordes de Beethoven par le Quatuor Amadeus. Nous avons aussi un projet avec les premières années à Berlin de Sergiu Celibidache.

- Quels sont vos meilleurs marchés aujourd’hui, et cette liste changera-t-elle de manière significative au fil du temps?
Les marchés diffèrent en fonction du répertoire, parfois même beaucoup. A côté de cela, d’une manière générale, les marchés importants sont pour nous : le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne et le reste de l’Europe.

- Audite est un label reconnu pour la haute qualité éditoriale de ses albums. Les ventes physiques diminuent alors que les ventes en téléchargement augmentent. Comment conciliez-vous les deux?
En fait, je ne considère pas cela comme un conflit. Ces deux domaines sont importants et je considère les ventes dématérialisées comme une addition bienvenue à notre visibilité. La seule exception est le streaming où vous devez être très prudent en raison des faibles retours sur investissement.

- En effet, le streaming audio est en plein essor et devient une tendance majeure. Comment voyez-vous cette évolution, alors que de nombreux éditeurs sont pris de panique en raison des faibles revenus qu’elle génère?
Nous sommes nous aussi très préoccupés par cette évolution. C’est très simple: la qualité doit avoir son prix, et le maintien de cette qualité n’est pas assuré avec le streaming. À l’heure actuelle, nous envisageons d’arrêter complètement la diffusion de notre catalogue en streaming. Nous sommes à la recherche d’une offre de téléchargements en haute définition où l’équilibre entre la qualité et les revenus sera beaucoup mieux respecté.

Interview réalisée par Pierre-Jean Tribot (Res Musica) lors de la soirée de gala de remise des ICMA à Milan le 18 mars 2013

Dernières nouvelles d'Audite
Parmi les projets de l'année anniversaire d'Audite, il en est un de particulièrement fascinant : une coopération avec le festival de Lucerne qui lui ouvre ses archives. L'édition a débuté en septembre avec un enregistrement de Clara Haskil (Concerto pour piano K. 466) et Robert Casadesus (5e Concerto de Beethoven) avec Otto Klemperer et Dimitri Mitropoulos. Le second CD est consacré à Isaac Stern avec le Concerto pour violon de Tchaikovski dirigé par Lorin Maazel et le 2e Concerto de Bartok dirigé par Ernest Ansermet.
Par ailleurs, Audite réalisera avec WDR Snfonieorchester, une intégrale des symphonies de Schumann sous la direction de Heinz Holliger.
Egalement est prévu un coffret de 12 CD consacré à Celibidache et une Edition Quatuor Amadeus considéré comme le quatuor de référence de son temps.

 

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