Débuts au disque étincelants d’Adélaïde Ferrière
“Contemporary”. Richard Rodney BENNETT (1936-2012): After Syrinx II ; Franco DONATONI (1927-2000): Omar ; Philippe HUREL (né en 1955): Loops II – Loops IV ; Bruno MANTOVANI (né en 1974): Moi, jeu… ; Iannis XENAKIS (1922-2001): Rebonds – Psappha. Adélaïde Ferrière, percussion. 2020-CD:81'32"-Textes de présentation en français et anglais-Évidence EVCD067
Issu du financement participatif, le premier disque consacré à la marimbiste et percussionniste Adélaïde Ferrière pourrait bien faire date. Il permet, en tout cas, de prédire à la jeune Française une brillante destinée !
Le programme, généreux, couvre près d’une heure et demie en temps réel et, à l’échelle de l’Histoire, trois décennies à cheval entre les 20e et 21e siècles. Savant mélange d’œuvres « phares » et de pièces un peu moins connues, il évite l’écueil de la monotonie en faisant alterner les pages pour marimba, pour vibraphone ou pour une véritable artillerie lourde.
Le disque s’ouvre et se referme sur deux classiques du répertoire : deux des quatre cycles pour percussion dus à la plume de Iannis Xenakis (les deux autres, Persephassa et Pléiades, composés au contact des Percussionnistes de Strasbourg, étant destinés à un effectif de six percussionnistes). Dans Rebonds (1987-88) et Psappha (1975), la soliste étale son talent sur un ensemble de multi-percussions. Rebonds, qui fait la part belle aux peaux, se nourrit de cellules simples et répétitives qui se transforment continuellement, alors que Psappha, dont la force tellurique rappelle les œuvres de Varèse, s’inspire de la métrique de la poésie de Sappho -poétesse de l’Antiquité, dont découle le titre de l’œuvre. La partition, qui exige par moment que pas moins de onze sons différents soient émis simultanément, a ceci de particulier qu’elle laisse à l’interprète le choix de l’instrumentarium, lequel doit cependant comporter des peaux, des bois et des métaux. Adélaïde Ferrière porte son choix sur un ensemble bariolé comprenant toms, toms contrebasses, grosses caisses symphoniques, grosse caisse à pédale, timbale, taïko, rototoms, congas, bongos, darboukas, boo-bams, tambours de bois, mokubios, frog guiros, wood-blocks, tam-tam, enclumes, cymbales et bidon de pétrole. L’absence des claviers, non conviés par le compositeur grec, permet à la jeune musicienne de ranger ici marimba et vibraphone.
Xenakis partage avec Mantovani un penchant pour le jeu et l’improvisation -mais non cette improvisation triviale qui, selon Xenakis, mène à « l’imprécision » et à « l’irresponsabilité »; l’action musicale, dit-il, « a un besoin impérieux de réflexion ». Mantovani, qui étudia non seulement le piano, mais également la percussion et le jazz, cultive volontiers dans ses œuvres ce sentiment d’improvisation, fenêtre sur la liberté de l’interprète qui ne se mue jamais, loin s’en faut, en anarchie. Ce sentiment parcourt tout de long la seconde partie de la Suite ludique de Montovani, Moi, jeu… (1988), pour marimba.
Un même intérêt pour le jazz se fait jour chez Philippe Hurel et Richard Rodney Bennett.
Le premier fit ses classes auprès d’Ivo Malec et de Betsy Jolas, ainsi qu’à l’Ircam. Souvent associé au courant de la musique spectrale initié par Grisey et Murail, il prit également quelques cours auprès de ce dernier en 1984. Loops II et IV, respectivement pour vibraphone et pour marimba, s’inscrivent dans un cycle de cinq pièces composé entre 1999 et 2006, dont les premier et troisième volets sont écrits pour une et deux flûtes et le cinquième pour carillon. Le principe des répétitions transformationnelles (ou morphing), consistant à métamorphoser graduellement et souvent imperceptiblement une figure musicale en une autre, est à l’œuvre dans ce cycle comme dans bon nombre de partitions du compositeur natif de Domfront ; au fil des transformations, la musique finit par retrouver son état d’origine, ce qui explique le titre de l’œuvre (« Boucles »).
Pour marimba, After Syrinx II, de Bennett, est tiré d’une suite éponyme évoquant la fameuse Syrinx pour flûte de Debussy. Le compositeur britannique, qui laisse derrière lui une importante production de musiques de film, suivit notamment l’enseignement de Pierre Boulez. On ne sera donc guère surpris que son langage puise sa substance dans le sérialisme; mais un sérialisme débarrassé de ses rigueurs académiques, ne craignant ni les octaves, ni les accords parfaits, et qui n’oublie pas non plus l’importance de la texture instrumentale. Explorant ici les analogies soniques entre le marimba et la flûte de pan, Bennett livre une page aux atmosphères contrastées, requises par une panoplie d’indications de caractères (capriccioso, inquieto, alla marcia, grotesco, con fantasia).
Retour au vibraphone avec Omar (1985) de Franco Donatoni, dont le titre fait référence au percussionniste Maurizio Ben Omar. Le compositeur italien varie ici les timbres et les registres en prescrivant à l’interprète de recourir à différents types de baguettes et, dans le fantomatique second mouvement, au moteur, manié à différentes vitesses.
Révélation de l’année aux Victoires de la Musique Classique dans la catégorie « soliste instrumental » en 2017, Adélaïde Ferrière s’immisce ici avec la plus féconde curiosité dans l’intimité du couple intriguant Percussion/Résonance. Alliant agilité, dextérité et musicalité à une maîtrise aiguë de la couleur, elle livre une prestation où virtuosité et poésie ne font qu’un. Soulignons au passage la qualité de la prise de son, si délicate en la matière, qui rend perceptibles (dans les limites, évidemment, de ce que permet un enregistrement discographique) les déplacements de l’artiste d’un instrument à l’autre. Signalons, pour finir, l’intention annoncée par l’éditeur d’adjoindre un second volet à ce projet artistique ; de nature cinématographique, cette fois.
Son 10 – Livret 8 – Répertoire 8 – Interprétation 10
Olivier Vrins