Défense sérieuse mais sage pour La Mort du Cœur pénitent de Legrenzi

par

Giovanni Legrenzi (1626-1690) : La Morte del Cor penitente. Raffaele Giordani, ténor (Peccatore). Cristina Fanelli, soprano (Penitenza). Hana Blažíková, soprano (Speranza). William Shelton, contre-ténor ; Manuel Nunez-Carmelino, ténor ; Romain Bockler, basse (Coro di Pene). Olivier Fortin, clavecin, direction. Ensemble Masques. Sophie Gent, Tuomo Suni, violon. Kathleen Kajioka, alto. Mélisande Corriveau, violoncelle. Benoît Vanden Bemden, contrebasse. Manon Papasergio, harpe, lyrone. André Heinrich, théorbe. Août 2022. Livret en français, anglais, allemand ; paroles en italien et leur traduction en français et anglais. TT 77’11. Alpha 975

La Morte del Cor penitente appartient aux quelques œuvres sacrées en langue vernaculaire qui survécurent à leur compositeur, et dont l’intérêt fort inégal réclame des avocats chevronnés. Renommé en son temps, auteur de sonates, de motets, d’une vingtaine d’opéras, sa carrière se déroula essentiellement en Italie du nord et culmina en 1685 par le poste très convoité de Maître de Chapelle à la prestigieuse basilique San Marco de Venise.

Même s’il ne renia pas le stile antico dans son écriture contrapuntique, celui à qui Bach emprunta un air pour la fugue BWV 574 s’inscrivit aussi dans le sillage monteverdien de la seconda prattica, où l’idiome baroque épouse l’expressivité du texte. On trouve d’ailleurs une section madrigale a 5 dans le Porta ancor nel ferire du présent oratorio, qui semble toutefois relever d’un certain archaïsme. On aurait aimé que la notice du CD s’attache à cerner son langage musical, quoique la présentation d’Orsolya Száraz (universitaire hongroise entre autres spécialisée dans la spiritualité jésuite) nous y livre une admirable synthèse des symboles catholiques de l’affliction, et une fine analyse des situations dramatiques et métaphores physiques qui guident le repentir du personnage principal : ce Peccatore confessé par ses dialogues avec la Penitenza, et sourd aux tentations de la Speranza.

Dans la seconde partie de cette fable morale, le cœur, siège assignataire du péché selon le librettiste, finira par périr sous les douleurs (personnifiées par un chœur) que lui impose le zèle expiatoire de son hôte, dont les larmes confirmeront la rédemption. Une souffrance auto-infligée, comme vecteur du salut et gage de la conversion, au terme de la dialectique polarisée par les deux sopranos, investies d’un rôle allégorique. Hélas, malgré de rares pages animées voire verveuses (Questo indomito core Perfido, traditore Fù ingiusto, fù mendace, Fù crudel, fù rapace), notamment dans la deuxième partie (Siam qui pronte exalté par le Coro di Pene), qu’on ne s’attende pas à un théâtre des passions à jet continu. Cette longuette heure vingt inclut sa part d’ennui, dans un vestige de stile recitativo assez soporifique, que corroborent quelques émollientes sinfonias, et qui relève parfois d’un fade catéchisme.

Après le superbe enregistrement (Divox, juin 1995) des Sonatori de la Gioiosa Marca d’Andrea Marcon (avec Roberta Invernizzi, Elisabetta de Mircovich, Mario Cecchetti and Marco Beasley), la discographie ne s’était pas emparée de cet oratorio. Il pouvait mériter un autre regard aussi abouti, une autre chance. On salue donc cette nouvelle et très sérieuse interprétation, captée l’an dernier en l’église de Corravillers. Entre la radieuse et torturante Espérance incarnée par Hana Blažíková, et l’émouvante Pénitence incarnée par Cristina Fanelli, on pourra convenir que les voix féminines sont ici bien distribuées. Raffaele Giordani se distingue par sa projection étudiée, capable de maintenir sans ciller les quatre mesures de la dernière syllabe du « Crude vi chiamero, se non piangete » jusqu’au point d’orgue. Son timbre plus clair que chaleureux et sa ferme résilience intériorisent le complexe tourment du Pécheur plutôt qu’ils ne l’exacerbent. La solide équipe instrumentale autour d’Olivier Fortin ne trahit en rien la subtilité et l’austérité de l’ouvrage.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 6 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

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