Dernière étape de l’intégrale des messes de Josquin par Métamorphoses

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Josquin & Saint-Quentin. Josquin Desprez (c1440 ou 1450-1521) : Messe Malheur me bat ; Messe L’ami Baudichon. Ensembles Métamorphoses, dir Juliette de Massy. Noémie Capron, soprano. Corinne Bahuaud, Mathilde Legrand, mezzo-sopranos. Vincent Lièvre-Picard, Marcio Soarès-Holanda, hautes-contre. Fabrice Foison, Jesùs Rodil, ténors. Simon Heberle, Philippe Roche, basses. Ensemble AKarena Voces : Paul Garnier, ténor, contreténor ; Maïlys Hercod, soprano ; Anne-Marie Laurent, alto. Livret en français et anglais. Pas de livret des paroles chantées. Juillet & octobre 2020. TT 70’54. Éditions de l’Homme Armé AR RE-SE 2021-2

Fin du projet entrepris voilà quinze ans, et paru de justesse pour le cinq-centième anniversaire de la disparition de Josquin, le 27 août dernier : l’intégrale des Messes qu’on lui attribue, du moins dix-huit d’entre-elles. L’enregistrement de la Malheur me bat n’a pu s’achever lors de la session de juillet et fut reporté à octobre, avec une équipe vocale presque identique, Corinne Bahuaud se substituant à Mathilde Legrand. L’ensemble Métamorphoses se renforça par un chanteur et deux chanteuses amateurs et néanmoins valeureux, pour la teneur de L’ami Baudichon, et dans le premier Agnus de la Malheur me bat, capté en juillet et refait en octobre -preuve du souci de cohésion des couleurs vocales.

Le sous-titre de cet album fait référence à la ville principale du Vermandois, terroir où naquit et grandit le compositeur : un retour à l’origine pour ce dernier volume qui inclut deux œuvres de facture et de stades bien différents. Bien qu’elles se succèdent dans le Missarum Josquin Liber Secundus imprimé par l’éditeur vénitien Petrucci, la Malheur me bat précéderait de peu la parution de ce recueil en 1505 alors que L’ami Baudichon serait antérieure à toutes les messes dont on peut créditer le compositeur, et passe même pour sa toute première. C’est dans cette œuvre de jeunesse que Juliette de Massy et Noémie Capron débutèrent au sein de l’ensemble Biscantor, un an avant le début de cette intégrale. Cette messe fut influencée par celles de Guillaume Dufay (1397-1474) que Josquin fréquenta probablement lors de sa formation à Saint-Quentin. Elle se fonde sur une chanson aujourd’hui disparue, qui nourrit le cantus firmus.

En revanche, la Malheur me bat renvoie à Johannes Ockeghem (c1420-1497), dont les Missa cujus vis toni et Missa prolationum fertilisent les techniques de transposition et de pulsation. Elle exploite le potentiel mélodique d’une chanson qui féconda nombre d’élaborations polyphoniques à l’orée du XVIe siècle (pour une exploration de ce réseau, voir l’album Le mystère de "Malheur me bat" du Huelgas Ensemble de Paul Van Nevel, DHM juillet 2014). Elle se caractérise par une extension finale à six voix, qu’on ne retrouve que dans deux autres Agnus Dei de Josquin (L’homme armé sexti toni et Hercules dux Ferrarie). La notice de Jacques Barbier explicite d’autres aspects de ce langage sophistiqué qui honore son auteur au panthéon des musiciens de la Renaissance. Peut-être cette difficulté d’exécution explique-t-elle la rareté des témoignages discographiques, que l’on compte sur les doigts d’une main : parmi les plus récentes, le Clerks’ Group d'Edward Wickham (Gaudeamus, 2001), et surtout les Tallis Scholars de Peter Philips (Gimell, 2009) qui signèrent une réalisation transcendante, tout comme celle de L’ami Baudichon chez le même label en 2018.

Nos colonnes avaient déjà souligné pour les deux précédents volumes le splendide travail mené par Métamorphoses sur l’édifice josquinien : charpente, chaleur, expressivité. On ne peut que réitérer nos compliments. Transporté sans inhibition, L’ami Baudichon illustre toute la vigueur déclamatoire et l’éclat jubilatoire qu’on peut en attendre. Face au polissage des textures, à l’intonation millimétrée et à la diction au cordeau des équipes d’Outre-Manche, les voix conduites par Juliette de Massy répondent par un grain plus épais, une entièreté et un charisme qui confèrent à ces pages une éloquence non seulement admirable mais touchante, qui accroche l’oreille et ravit l’esprit. Grâce à ces interprétations toniques, conviviales et révélatrices, les partitions nous rapprochent de leur savante ingénierie, mais sans nous intimider par la divine perfection du dessin : elles se pensent, se dramatisent, et nous parlent droit au cœur, affirmant Josquin comme un des phares de l’humanisme.

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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