11e concours international chant-piano Nadia et Lili Boulanger : Un palmarès en demi-teinte

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Il arrive qu’un Palmarès laisse perplexe. En l’occurrence, il semblait évident, dès son apparition, que le baryton néerlandais Vincent Kusters ne concourait pas dans la même catégorie que les autres. De son interprétation de La Vie antérieure (Baudelaire/Duparc) ruisselante de lumière jusqu’au déchirant Cantar ! de Granados, en passant par les Lieder de Schumann, Schubert, Mahler et Strauss ou la mélodie hébraïque de Darius Milhaud (Séparation), il subjuguait l’auditoire parvenant à transcender un art du chant accompli, une diction irréprochable, une fine sensibilité au profit de la seule expressivité. Artiste complet (pianiste et organiste), étranger au sérail parisien ce qui lui a peut-être manqué, il suscitera certainement l’intérêt des organisateurs, mécènes et mélomanes. Ce ne fut pas l’avis du Jury.

Le Grand Prix a donc été décerné cette année à Axelle Fanyo et Adriano Spampanato. Déjà lauréate de nombreux concours, la soprano d’origine togolaise et antillaise, native de Seine-Saint-Denis, faisait son entrée en finale telle Madame Butterfly drapée dans un tissus chamarré -en harmonie avec un beau timbre cuivré ; la tessiture se révélait aussi longue qu’homogène, soutenue par une émission et une diction précises. Si de telles qualités lui assurent de futures réussites, l’éclectisme la mettait ici en difficulté de style voire de goût (Bolcom). Les pages de Lili Boulanger, Duparc ou Haydn manquaient de clarté et de simplicité tandis que le toucher précis, frêle et sensible du pianiste franco-italien se trouvait en déséquilibre avec une texture vocale quasi wagnérienne.

Le Prix de Lied est revenu au jeune baryton-basse français Adrien Fournaison (26 ans). Après une demi-finale assez terne, il parvenait à mettre en valeur des moyens vocaux aussi incontestables que prometteurs, une diction soignée, épaulé par le jeu chatoyant de la pianiste biélorusse Natalia Yeliseyeva. Altier dans la mort de Don Quichotte (Ibert), effleurant, sans y plonger, le versant vénéneux propre à la mélodie française (Dans l’immense tristesse de Lili Boulanger), il lui reste à investir plus personnellement des univers esthétiques complexes.

 La soprano belge Flore van Meerssche et son fougueux pianiste, le Sud-Coréen Gyeongtaek Lee ont reçu le Prix de Mélodie. Son legato souple à l’instar de sa silhouette de sirène ondulant dans un fourreau émeraude, se prêtait à merveille aux mélodies de Chausson (Hébé) -d’ailleurs très à l’honneur- se faisant bercement (De Falla), hypnose (An eine Stadt , Eisler/ Hölderlin) jusqu’à frôler la pâmoison à chaque modulation de Schubert. En revanche, L’Indifférent de Ravel comme Zaïde (Berlioz) sans relief, souffraient d’une prononciation confuse.

Commandée à Isabelle Aboulker, la Lettre à ma sœur tant aimée » a été créée lors de la demi -finale en présence de la compositrice. Il fallait beaucoup d’aisance pour passer du « parlé » au « chanté » et restituer un lyrisme discret mêlé de tendresse et d’autorité (Ce « châle mauve » auquel certain(e)s ont fait un sort !). Fidèle au caractère de « Mademoiselle » dont le portrait par le cinéaste Bruno Monsaingeon était projeté pendant les délibérations, Anne-Lise Polchopek, très « grande soeur », remportait le Prix Déodat de Séverac.

Cette partition simple et variée appelle néanmoins quelques réserves. A commencer par le choix du texte qui, aussi touchant soit-il, par sa nature épistolaire ne contient pas de réelle dynamique. Par ailleurs, la mort venant bientôt séparer les deux sœurs, l’intrusion dans leur intimité peut également mettre mal à l’aise... jusqu’aux notes d’espérance égrenées au piano sous le mot « avenir » qui en soulignent paradoxalement le désespoir ! A l’opposé du choix de Ravel qui, pour honorer ses amis morts sur le champ de bataille, composa le Tombeau de Couperin.

Parmi les douze interprétations, toute différentes, et qui -fait remarquable- n’ont jamais lassé l’auditoire, on retiendra celle de la Norvégienne Eira Sjaastad Huse, pâle silhouette de légende aux cheveux de mousse empreinte de poésie tandis que le ténor français, Benoît Rameau, touchait par sa sincérité. Toutes impressions à retrouver grâce à la diffusion en streaming et replay sur le site « RecitHall ».

Organisé tous les deux ans, le Concours Nadia et Lili Boulanger aura ainsi réuni, pour sa 11e édition, une trentaine de duos voix-piano de qualité où l’on regrette l’absence des voix de haute-contre et contre-ténor chez les hommes, alto et contralto chez les femmes. Les dictions française, espagnole, italienne, allemande ou russe, le souci de fidélité au style et à l’esthétique de répertoires qui faisaient parfois le grand-écart (passer de Charles Ives à Haydn en un clin d’œil !) étaient au rendez-vous. En dépit d’un climat général assez lugubre (Nadia Boulanger Au bord de la route, Saint-Saëns Soirée en mer), les anniversaires (Saint-Saëns) et raretés (Chaminade) n’étaient pas oubliés.

Que cet événement consacré à un répertoire aussi secret qu’inestimable continue de vivre longtemps et que soient salués comme ils le méritent ses organisateurs et ses participants.

Grand Prix de Duo Chant-Piano (12 000 €) Prix Rainier III de Monaco : Axelle FANYO, soprano et Adriano SPAMPANATO, pianiste

Prix de lied – Prix Outhere (6 000 €) : Adrien FOURNAISON, baryon-basse et Natallia YELISEYEVA, pianiste

Prix de mélodie – Prix de la Fondation Étrillard (6 000 €) : Flore VAN MEERSSCHE, soprano et Gyeongtaek LEE, pianiste

Prix Déodat de Séverac pour la meilleure interprétation de Lettre à ma soeur tant aimée d’Isabelle Aboulker (1 500 €) : Anne-Lise POLCHLOPEK, mezzo-soprano et Elenora PERTZ, pianiste

Le jury en 2021 Stéphane Degout, Claire Désert, Bernarda Fink, Daniel Gerzenberg, Martyn Hill, Antoine Palloc, Sandrine Piau, Jan Schultsz et Ronald Zollman président du jury

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques : DR

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