Des concertos de Mozart illuminés par Charles Richard-Hamelin et Les Violons du Roy de Jonathan Cohen 

par

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Concertos pour piano et orchestre n° 22, K. 482 et n° 24, K. 491. Charles Richard-Hamelin, piano ; Les Violons du Roy, direction Jonathan Cohen. 2020. Livret en français et en anglais. 65.15. Analekta AN 2 9147.

La jeune génération des pianistes fait parler d’elle ! Récemment, nous évoquions Yundi, puis Benjamin Grosvenor dans les concertos de Chopin. Cette fois, c’est le Canadien Charles Richard-Hamelin qui est mis à l’honneur, non pas dans les deux partitions concertantes de Chopin (qu’il a déjà gravées sur CD avec Kent Nagano), mais dans deux concertos de Mozart qui sont des moments d’infinie séduction. Né en 1989 au Québec, ce virtuose a étudié à la Yale School of Music, mais aussi à l’Université Mc Gill et au Conservatoire de musique de Montréal. Parmi ses professeurs, figurent Boris Berman et André Laplante, qui fut deuxième lauréat ex-aequo avec Pascal Devoyon du Concours International Tchaïkowsky à Moscou en 1978 derrière Mikhaïl Pletnev. Charles Richard-Hamelin, à ne pas confondre avec Marc-André Hamelin, lui aussi Canadien, a remporté plusieurs distinctions ; il s’est notamment classé deuxième du Concours International Chopin en 2015, où il s’est vu en plus octroyer le Prix Kristian Zimerman pour la meilleure interprétation d’une sonate. La même année, il gravait pour Analekta un CD des dernières œuvres de Chopin, puis en 2016, un récital en concert consacré à Beethoven, Enesco et Chopin pour le même label. Celui-ci lui a offert deux autres réalisations : des sonates pour violon et piano de Beethoven avec Andrew Man et les concertos de Chopin avec Nagano évoqués plus avant. Le présent disque Mozart est son cinquième publié par Analekta.

Effectué en trois jours au début du mois de juillet 2019 en la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm de la ville de Québec, le présent enregistrement est une réussite sonore absolue. La balance entre les instruments est d’un équilibre si évident que le piano moderne et l’orchestre des Violons du Roy, habitué des époques baroque et classique, dialoguent avec une subtilité qui est celle de la musique de chambre, dans un contexte d’un lyrisme séduisant et d’un phrasé harmonieux qui ne sont jamais pris en défaut. Dès l’entame du Concerto n° 22, qui date de 1785, année du début de la composition des Noces de Figaro et de la publication des Six Quatuors dédiés à Haydn, la longue introduction orchestrale met l’auditeur en condition à travers un climat aux sonorités rondes et pleines de vitalité, préparant, avec les bassons et les cors, l’entrée du piano dont le charme de la palette des couleurs s’installe avec grâce et raffinement. Cet Allegro ne va cesser de se développer sur un mode chaleureux que les vents, dans un court dialogue, rendront délicatement insaisissable, plongeant l’auditeur dans le ravissement. L’Andante évoque des moments proches des sérénades, avec des passages qu’on qualifiera de mélancoliques plutôt qu’expressifs d’une souffrance. Ici, les vents apportent leur part de pathétique lorsqu’ils évoluent en apesanteur dans la partie qui leur est offerte et dont ils sortent magnifiés. L’Allegro final s’élargit dans un rondo, le partage entre les deux bassons, les deux clarinettes et la flûte, et bientôt les cors, s’épanouissent en gerbes de lumière et offrent au piano ce tapis plein d’ardeur qui lui permet de conclure radieusement la partition. Tout cela est vraiment magnifique.

L’expressivité du Concerto n° 24 que Mozart donna en première exécution en avril 1786, découle, pour sa part, d’une instrumentation élaborée qui met en évidence le caractère d’une partition qui annonce nettement le romantisme proche par l’intensité de ses élans sombres et passionnés. L’ambiance qui règne dès l’introduction, grave et tendue, laisse deviner que l’on se trouve face à une œuvre déchirante, ainsi que l’atmosphère générale l’indique. A cet égard, comme d’ailleurs à travers tout cet enregistrement, le rôle des Violons du Roy et de son chef Jonathan Cohen est fondamental. Dans cet espace d’inquiétude, ponctué par un orchestre fiévreux, le piano peut installer, grâce à ce soutien, une éloquence qui traduit la sensation d’un drame intérieur vécu par le compositeur. L’intelligence de la conception de ce premier mouvement est de doser l’énergie et l’émotion présentes, en soulignant le registre angoissé sans l’alourdir. Une lumière, parfois vacillante, est cependant présente, et elle va permettre au Larghetto de créer un moment de calme et de simplicité bienvenue avant l’Allegretto conclusif, grave, complexe et très tourmenté, dont la montée émotionnelle est incessante jusqu’à la solennelle conclusion.

Il est difficile de traduire en mots ce que l’on éprouve en écoutant ce superbe disque, tant le partenariat coule de source et offre des entrées multidimensionnelles dans le mystère mozartien. Il faut signaler que Charles Richard-Hamelin a écrit lui-même les cadences du premier et du troisième mouvements du Concerto n° 22 et celle de l’Allegro du Concerto n° 24, sans sophistication, avec un naturel d’une telle authenticité dans l’esprit de Mozart que ces cadences en deviennent… mozartiennes ! Un CD de tout premier plan !

Son : 10   Livret : 9 Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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