Un hommage décevant à Antonio Janigro

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Antonio Janigro. Les enregistrements rares pour violoncelle. Franz Joseph HAYDN (1732-1809) : Concerto pour violoncelle et orchestre n°2 Hob. VII :2 ; Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Divertimento K. 317 ; Luigi BOCCHERINI (1743-1805) : Concerto pour violoncelle et orchestre n° 9 G. 942 ; Antonio VIVALDI (1678-1741) : Concerto pour violoncelle et cordes op. 3/9, RV 230 ; Arcangelo CORELLI (1653-1713) : Concerto grosso op. 6/4 ; Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Trio pour piano, violon et violoncelle op. 97 « Archiduc », Sonates pour violoncelle et piano n° 3 op. 69 et n° 4 op. 102 ; Johann Ernst von SACHSEN-WEIMAR (1696-1715) : Concerto pour violoncelle et cordes ; Antonin DVORAK (1841-1904) : Concerto pour violoncelle et orchestre op. 104 ; Milko KELEMEN (1924-2018) : Improvisations concertantes pour cordes ; Paul HINDEMITH (1895-1963) : Musique funèbre pour alto et cordes ; Johannes BRAHMS : Sonate pour violoncelle et piano n° 1 op. 38 ; Richard STRAUSS (1864-1949) : Don Quichotte op. 35. Antonio Janigro, violoncelle ; Paul-Badura Skoda, Jan Natermann et Jörg Demus, piano ; Jean Fournier, violon ; Stefano Passaggio, alto ; Solistes de Zagreb, direction Antonio Janigro ; Orchestre Symphonique de la RAI de Rome, direction Rudolf Kempe ; Orchestre Alessandro Scarlatti de la RAI de Naples, direction Franco Caracciolo ; Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne, direction Erich Kleiber ; Orchestre Symphonique de Chicago, direction Fritz Reiner. 2020. Notice en allemand et en anglais. 293 minutes. Profil Hänssler PH20002 (un coffret de 4 CD).

Un hommage à Antonio Janigro, ce prodigieux violoncelliste, soliste, chambriste et chef d’orchestre, est une initiative des plus séduisantes. Car ce musicien italien a accompli une carrière magnifique dont il convient de rappeler le souvenir. Le coffret Profil Hänssler qui est présenté aujourd’hui sous le titre de « rare cello recordings » rend-il justice à ce talent ? Disons-le d’emblée avec regret : ce n’est pas vraiment le cas. La sélection artistique est inégale, et les conditions sonores souvent médiocres. Même si le fait de rassembler une série de témoignages dispersés apparaît logique, seuls les collectionneurs invétérés y trouveront peut-être un intérêt.

Né à Milan en 1918, dans une famille de musiciens (père pianiste, mère violoniste), Antonio Janigro hésite entre le clavier et le violoncelle ; c’est ce dernier qui l’emporte. Il entre au Conservatoire Verdi de sa cité natale. La chance va lui venir en aide lorsqu’en 1929, il a l’occasion de rencontrer Pablo Casals et de jouer avec lui. Impressionné par le talent du jeune garçon, Casals l’oriente vers l’Ecole Normale de Paris et le recommande à son ami, le violoncelliste arménien Diran Alexanian (1879-1954), qui connut Johannes Brahms et Joseph Joachi. Alexanian, qui a publié un traité technique et pratique de violoncelle avec Casals et créé la Sonate n° 2 d’Enesco avec celui-ci, va s’investir dans la formation de son jeune élève. Dans la capitale française, où la vie musicale est alors foisonnante, Janigro, diplômé dès 1937, se lie avec Ginette Neveu ou Dinu Lipatti. Avec ce dernier, il forme un duo auquel se joint bientôt Lola Bobesco. Cette « dream team » va se produire en trio pendant quelques mois et va notamment donner en première audition le Trio de Lipatti. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Antonio Janigro n’est pas en Italie : il est en vacances en Croatie ; il va demeurer à Zagreb pendant tout le conflit et y enseigner. Après 1945, il se produit avec Paul Badura-Skoda, Carlo Zecchi, Jean Fournier, Jörg Demus ou Robert Veyron-Lacroix et enregistre, notamment pour Westminster. Attiré dès 1948 par la direction d’orchestre, il fonde en 1954 les Solistes de Zagreb, formation limitée à 14 cordes et un clavecin à l’origine, puis à 11 cordes. L’ensemble atteint un tel niveau qu’il connaît un succès considérable jusqu’à ce que son chef permanent décide, en 1968, de ne plus en assurer la responsabilité. Il faut préciser qu’il est retourné en Italie en 1965 pour diriger l’Angelicum de Milan et que, deux ans plus tard, il est victime d’une crise cardiaque qui va l’obliger à réduire ses activités. Il succède néanmoins à Karl Ristenpart à la tête de l’Orchestre de chambre de la Radio de la Sarre l’année où il renonce aux Solistes de Zabreb, puis, de 1971 à 1974, dirige la Camerata de Salzbourg, fondée par Bernhard Paumgartner. Il enseigne aussi à Dusseldorf, à Stuttgart et à Salzbourg. Il décède à Milan en 1989.

Le coffret Profil Hänssler propose des partitions dans lesquelles Janigro est à la tête des Solistes de Zagreb. On retrouve le violoncelliste avec ses troupes dans des gravures de 1961 : un Divertimento K. 137 de Mozart peu rayonnant, un Concerto op 3/9 de Vivaldi quelque peu empesé, même si le violoncelle est chaleureux, ou un Concerto pour violoncelle du prince Johann Ernst von Sachsen-Weimar, qui mourut à moins de vingt ans et qui était un passionné de Vivaldi ; on entend l’écho du maître vénitien dans une studieuse partition. Les Solistes de Zagreb n’ont pas négligé la musique du XXe siècle : la Musique funèbre de Hindemith et les Improvisations concertantes de Milko Kelemen, écrites pour l’ensemble de Janigro, en sont deux exemples ; ces gravures de 1958 datent des débuts des Solistes. La page de Hindemith a été écrite en une seule journée, lorsque ce dernier, présent à Londres pour la première anglaise de son Schwanendreher, apprit le décès du roi Georges V auquel il dédia sa poignante Musique funèbre qui fait référence dans son mouvement final à un choral de Bach. La partition de Kelemen, compositeur croate qui allait bientôt fonder un festival de musique à Zagreb, est dédiée aux cordes de Janigro. Ce choix de répertoire montre à l’évidence les qualités d’une formation à la fois colorée et chaleureuse, soudée et disciplinée. 

Le coffret rappelle aussi à quel point le chambriste Janigro était talentueux. Le choix s’est porté sur Beethoven et sur Brahms. Pour ce dernier, en 1957, le violoncelliste est en duo avec Jörg Demus dans la Sonate op. 38. Dans un style contrôlé, voire réservé, les deux complices dialoguent avec une intimité pudique qui maîtrise la passion. De Beethoven, on découvre trois partitions, dont deux sonates pour violoncelle et piano, op. 69 et op. 102. Le partenaire est Jan Natermann. On connaissait déjà ces œuvres, au cours desquelles Janigro partage avec son équipier des moments de vrai lyrisme, par un CD Jube de 2014. Quant au Trio « Archiduc », il impressionne par ce qu’il révèle de la collaboration de Janigro avec Paul Badura-Skoda et Jean Fournier. Cette version de 1953, éditée au temps du microsillon par le label Whitehall, est d’une grande beauté sonore, puissante et architecturée. Les pages de musique de chambre sont la partie la plus intéressante de cette publication. 

Du côté des concertos, l’attente était grande, mais la déception est au rendez-vous. A côté d’un Boccherini routinier avec la RAI de Naples dirigée en public en 1959 par un Franco Caracciolo qui n’élève pas le débat, on découvre un pénible Haydn de la même année, cette fois avec la RAI de Rome, sous la baguette de Rudolf Kempe. Tout aussi pénible est le Concerto de Dvorak avec Erich Kleiber, toujours en salle, même si Janigro s’investit avec fougue et exubérance. Quant au Don Quichotte de Richard Strauss, gravé en studio en 1959 à Chicago avec Fritz Reiner, il ne se révèle pas plus emballant à l’audition, Janigro s’y produisant en demi-teinte. Pénible, avons-nous répété. Ceci s’adresse massivement aux prises de son, qui ne sont pas dignes de l’hommage attendu. Saturations, maigreur de la projection de l’instrument, sons voilés et autres scories perturbent ces témoignages et ne valorisent pas le virtuose. On connaissait le Haydn et le Boccherini, publiés en même temps que la Sonate n° 1 de Brahms, avec Demus, par un CD Archipel de 2010, qui avait montré la précarité des témoignages, et le Dvorak avec Kleiber, toujours pour Archipel cinq ans auparavant, qui faisait déjà état du bouillon orchestral. On pouvait espérer que les spécialistes arriveraient quelque peu à améliorer la technique, il n’en est rien. Quant au Don Quichotte, il vaut mieux conserver la réédition de 1994 chez RCA, couplée avec la Burlesque démentielle de Byron Janis ; le son rend mieux justice à l’orchestre et au style léger et virtuose imprimé par Reiner. Le violoncelle de Janigro, même peu en phase, y était aussi plus présent.

Ce coffret est donc un non-événement, car il ne donne qu’un pâle reflet de l’art suprême du violoncelliste. Il est certain que « l’hommage à Janigro » attend encore son heure. Un dernier regret : la notice est des plus minimalistes. Pourquoi ne pas avoir consacré des commentaires aux circonstances des concerts ou des gravures en studio ? Se contenter de la simple énumération du programme et d’une mini-page sur l’artiste est tout à fait rédhibitoire ! C’est hélas devenu une mauvaise habitude de maints labels qui (re)mettent à disposition les interprètes du passé qui ont tant à nous apprendre.

Son : 5  Livret : 3  Répertoire : 10  Interprétation : 7 (c’est une moyenne)

Jean Lacroix

 

 

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