Weber, Kurpinski, Crusell : la clarinette étincelante de Sharon Kam

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Carl Maria von Weber (1786-1826) : Concerto pour clarinette n° 2 op. 74 ; Karol Kurpinski (1785-1857) : Concerto pour clarinette et orchestre ; Bernhard Henrik Crussel (1775-1838) : Concerto pour clarinette et orchestre n° 1 op. 1. Sharon Kam, clarinette ; Orchestre symphonique ORF de la Radio de Vienne, direction Gregor Bühl. 2020. Livret en anglais et en allemand. 53.44. Orfeo C9995201.

1811, année faste pour la clarinette. Cette année-là, Weber compose ses deux concertos pour l’instrument sur commande du Roi de Bavière Maximilien Ier, tandis que Crusell fait éditer son premier concerto à Leipzig, une partition sans doute composée vers 1805. Weber avait fait la connaissance du clarinettiste Heinrich Joseph Bärmann, pour lequel il avait déjà écrit un Concertino. Cet interprète, si célèbre à son époque qu’on l’avait surnommé « le Rubini de la clarinette », du nom d’un vaillant ténor, avait besoin d’un répertoire plus élargi. Ce motif poussa le Roi à solliciter Weber. Le compositeur se lança dans l’entreprise avec une belle inspiration. Ce Concerto n° 2 bénéficie de traits virtuoses bienvenus. Ajoutés à des timbres chauds et colorés, ils mettent en valeur les émotions, les effusions, les confidences, les abandons comme la bravoure, dans des registres qui mettent en valeur les graves et le medium. L’orchestration est brillante et enlevée : en plus des cordes et du soliste, les bois sont par deux, comme les cuivres (trompettes et cors), auxquels viennent s’ajouter les timbales. Cette musique, qui pourrait n’être que divertissante, va au-delà de cet aspect superficiel : elle atteint, notamment dans l’Andante con moto central, une réelle profondeur de sentiments. 

La partition de Bernhard Heinrich Crusell est d’une écriture élégante et délicate. Ce compositeur finlandais qui passa une grande partie de son existence à la Cour de Stockholm a écrit de la musique pour orchestre, dont la grande partie est dévolue à la clarinette : trois concertos, des quatuors, des duos, une symphonie concertante et un divertimento ; l’instrument y joue toujours un rôle central. Grand admirateur du concerto de Mozart, Crusell s’inscrit dans la ligne classique, alors que Weber évoque déjà le premier romantisme. Si l’architecture de la page de Crusell est emballante dans le premier mouvement Allegro, l’Adagio qui suit, à travers une élocution distinguée, fait penser à un aria. La clarinette chante avec une grande finesse, avant que l’aspect festif ne se manifeste dans un Rondo. Ce programme de ces deux grands créateurs pour la clarinette est complété par une pièce du Polonais Karol Kurpinski, une partition d’une douzaine de minutes, d’un seul élan. Ce compositeur eut son heure de gloire à Varsovie, où il dirigea longtemps l’Opéra National. Lui-même auteur d’opéras, il fit inscrire à l’affiche de son théâtre Mozart, Weber, Auber ou les Italiens Rossini ou Donizetti. Avant Frédéric Chopin, Kurpinski a sans doute été le musicien le plus important de son pays, annonçant l’apparition du romantisme, et contribuant à la prise de conscience de la nécessité d’une école nationale polonaise. Son bref Concerto pour clarinette était fort apprécié. Ecrit sans doute vers 1820, complété trois ans plus tard lors d’un séjour à Paris, il fait appel à l’expressivité et à la virtuosité, dans un climat tendre et lumineux.

Les chevaux de bataille des clarinettistes que sont les concertos de Weber et de Crusell ont bénéficié d’une belle discographie. Parmi d’autres, on se souviendra notamment pour le premier de la version de Sabine Meyer chez EMI avec la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Herbert Blomstedt en 1985, pour le second de Thea King avec le London Symphony, sous la baguette d’Alun Francis, paru chez Helios en 2005. Ou encore, pour les deux compositeurs réunis, l’album Virgin de 1999 d’Anthony Pay avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment. Ici, c’est Sharon Kam qui prend le relais, avec la Radio de Vienne que mène Gregor Bühl. Née à Haïfa en 1971, la virtuose israélienne a entamé ses études en Californie où résida un moment sa famille avant de regagner la terre natale. Après avoir tâté du piano et de la flûte, la clarinette l’a emporté. Elle fait ses débuts à l’âge de seize ans avec Zubin Mehta et le Philharmonique d’Israël dans le concerto de Mozart, qu’elle jouera pour la télévision lors de la célébration des 250 ans de ce dernier à Prague et qui a été publié sur DVD. Auparavant, elle avait remporté le concours de Munich en 1992 et entamé une carrière de soliste. La qualité de son jeu et son investissement lui ont valu d’être la dédicataire de concertos pour la clarinette, notamment de la part de Penderecki ou de Turnage. Elle est à la tête d’une riche discographie ; on y trouve déjà une version des deux concertos de Weber chez Teldec en 1997, avec le Gewandhaus de Leipzig de Kurt Masur. Dans le présent CD, Sharon Kam, dont la technique est superlative, combine la transparence et la sensualité, la souplesse et la chaleur expressive, tout autant que la finesse et les transports de joie. La formation de la Radio viennoise lui offre un support de classe, sous la direction de Gregor Bühl, attentif aux nuances comme à la clarté et à l’homogénéité du propos.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

 

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