Deux jeunes talents à La Roque d’Anthéron : Gabriel Durliat et Alexandra Dovgan
Au Festival international de Piano La Roque d’Anthéron, de jeunes musiciens en vue se retrouvent aux côtés de grands pianistes mondiaux. Ainsi, les 5 et 6 août, le Français Gabriel Durliat (né en 2001) et la Russe Alexandra Dovgan (née en 2007) montent sur la mythique scène du Parc de Florans.
Gabriel Durliat, un surdoué
Tout au long du récital, Gabriel Durliat se montre particulièrement sensible dans l’interprétation des mouvements lents, qu’il aborde avec une maîtrise remarquable. Ses jeux sont empreints d’un sens profond du chant et d’un lyrisme naturel, où chaque note semble respirer, sans jamais sombrer dans la lourdeur, même lorsqu’il adopte un tempo très lent. Que ce soit dans les œuvres de Mozart, Fauré ou Schubert, il parvient à insuffler une grande délicatesse. En revanche, les mouvements rapides de la Sonate n°10 en ut majeur K. 330 de Mozart « coulent » sous ses doigts, certes avec fluidité, mais délaissant quelque peu la précision. Le troisième mouvement est dynamique, où la deuxième partie révèle une tendresse et une innocence touchantes. Les trois pièces suivant de Fauré -Barcarolle n° 1 en la mineur op. 26, In Paradisum (extrait du Requiem op. 48 dans un arrangement du pianiste), et Barcarolle n° 12 en mi bémol op. 106 bis- sont regroupées telle une suite, avec une alternance de tempi, modéré-lent-modéré. Ici, la cohérence de l’interprétation, à la fois réfléchie et expressive, fait briller le sens de sa construction musicale. En effet, il compose entre l’intimité (1re partie de l’op. 26, In Paradisum) et l’ouverture qui se caractérise par l’élargissement du spectre sonore (2e partie de l’op. 26 puis l’op. 106 bis).
Dans la Sonate n°21 en ut mineur D.958 de Schubert, qu’il a présentée pour la première fois en public comme il nous l’a confié après le concert, il est encore possible de percevoir l’absence du poids accablant de la vie qui caractérise l’œuvre tardive de Schubert. Néanmoins, il parvient avec brio à faire ressortir le côté pathétique de la pièce, en accentuant habilement certains accords dans le deuxième mouvement, tout en maintenant admirablement une transparence générale. Dans l’Allegro final, le rythme obstiné, typiquement schubertien, est parfois imprécis, et, comme dans le mouvement initial, les triolets mélodiques à la main droite ont tendance à filer. Malgré ces quelques faiblesses, son interprétation demeure vibrante et fait entrevoir son sens de construction.

Le premier bis met en lumière son talent de compositeur, où il superpose la Pavane de Fauré au célèbre thème de Paganini. Vers la fin de cette pièce ingénieusement arrangée, un petit passage évoquant le son des cloches semble être un clin d'œil au Concerto égyptien de Saint-Saëns, interprété par Alexandre Kantorow quelques heures plus tard. Le deuxième bis est une autre Pavane, cette fois-ci dans son interprétation littérale et délicate de la Pavane pour une infante défunte de Ravel, offrant un moment de pure poésie et de recueillement pour conclure ce récital.
Alexandra Dovgan, jeune pianiste internationale
À tout juste 17 ans, elle a déjà entamé depuis des années une carrière internationale prometteuse. Si le public parisien commence à bien la connaître grâce à son récital annuel au Théâtre des Champs-Elysées, ce soir à La Roque d'Anthéron, c’est la découverte pour certains mélomanes. Pour cette soirée, elle a choisi un piano Fazioli, dont la sonorité est blanche et légèrement froide. Accompagnée du Verbier Chamber Orchestra, elle effectue une petite tournée européenne : son concert à La Roque d’Anthéron est précédé et suivi par des prestations au Festival de Verbier et au Festival de Menton.
Son interprétation du Concerto de Grieg se caractérise par une fraîcheur expressive, particulièrement marquée dans le deuxième mouvement, qui contraste magnifiquement avec la vivacité énergique du final. Dans ce final, la partie médiane se distingue par un tempo très large, où elle parvient à maintenir un bon équilibre avec les sections extrêmes, beaucoup plus rapides. Quant à certains passages plus « massifs », bien qu’elle tente d’y insuffler du poids, le piano peine parfois à sonner pleinement, probablement en raison de la résonance immédiate et directe de l’instrument. Cependant, dans la coda, elle transcende l’orchestre (du type Mozart), à l’approche des accords finaux avec une maîtrise impressionnante. Malgré tout, on perçoit par moments un manque de fusion entre le jeu de la jeune Russe et la direction de Gábor Takács-Nagy, directeur musical du Verbier Festival Chamber Orchestra depuis 2007. Sur le plan musical, elle semble être souvent dans sa propre bulle, sans toutefois qu’elle ne se détache de l’orchestre dont l’effectif réduit ne favorise pas l’intensité du tutti.
Pour conclure, elle offre deux bis : la Gavotte n° 1 en la mineur de Brahms, suivie de la Valse en ut dièse mineur op. 64-2 de Chopin. Cette dernière pièce met en lumière le plus heureux de son talent, avec des variations infiniment subtiles d’humeurs et de tempi. Elle souligne les lignes secondaires de manière inattendue mais convaincante, tout en déployant une élégance et une grande finesse. Le tout est enveloppé d’une légèreté qui laisse transparaître des notes empreintes de nostalgie.
Festival International de Piano La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, les 5 et 6 août 2024.
Victoria Okada
Crédits photographiques : Pierre Morales et Valentine Chauvin