Dix ans à la Philharmonie de Vienne pour la harpiste belge Anneleen Lenaerts

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Vienna Stories. Antonin Dvořák (1841-1904) : Rusalka : Chanson à la lune. Bedřich Smetana (1824-1884) : La Moldau. Richard Wagner (1813-1883) : Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg : Chant de louange de Walther. Albert Zabel 1834-1910) : Fantaisie sur des thèmes du Faust de Gounod op. 12. Franz Liszt (1811-1886) : Les Préludes. Anneleen Lenaerts (°1987) : Fantaisie sur La Bohème de Puccini. Ekaterina Walter-Kühne (1878-1930) : Fantaisie sur un thème d’Eugène Onegin de Tchaïkovsky. Richard Strauss (1864-1949) : Le Chevalier à la rose : Valse. Johann Strauss fils (1825-1899) : Le beau Danube bleu op. 134. Transcriptions de Anneleen Lenaerts, Hans Trneček et Wouter Lenaerts. Anneleen Lenaerts, harpe, et quatre membres de l’Orchestre Philharmonique de Vienne. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 80.51. Un CD Warner 0190296607974.

Depuis décembre 2010, la harpiste belge Anneleen Lenaerts, originaire de Peer, est la harpiste soliste de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, ce qui lui ouvre aussi les portes de l’Opéra local. Elle a effectué ses études aux Conservatoires de Bruxelles puis de Paris, a obtenu des récompenses dans de multiples concours, notamment en 2005 où elle s’est classée première du Prix International Lily Laskine, organisé tous les trois ans depuis 1993 dans la capitale française. Elle s’est produite aussi avec une série de formations prestigieuses parmi lesquelles l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise ou l’Orchestre Bruckner de Linz. Avec le Brussels Philharmonic, elle a enregistré, pour Warner, des concertos de Reinhold Glière, Joaquin Rodrigo et Joseph Jongen sous la direction de Michel Tabachnik, et un programme Nino Rota avec le flûtiste Emmanuel Pahud, la phalange étant cette fois menée par Adrien Perruchon. Toujours pour Warner, on lui doit aussi un récital Schubert/Schumann avec le clarinettiste Dionysis Grammenos. 

Pour fêter ses dix ans de présence à Vienne, c’est un florilège de transcriptions de pages célèbres qu’Anneleen Lenaerts propose dans un album au minutage généreux. Elle s’en explique dans la notice : En guise de reflet et de célébration de mon parcours jusqu’ici, j’ai choisi des pièces tirées du monde tant lyrique que symphonique, qui sont spéciales pour moi et racontent l’histoire de ma vie avec cet orchestre. Dans la foulée, elle évoque son travail avec des chefs comme Riccardo Muti, Daniel Barenboim, Andris Nelsons, Franz Welser-Möst ou Mariss Jansons. Elle précise encore que le répertoire de la harpe n’est pas très présent dans l’orchestre avant l’impressionnisme et qu’il est devenu courant pour les interprètes de l’instrument d’élargir les possibilités en écrivant des fantaisies sur des thèmes de symphonies ou d’opéras. Ce qu’elle a fait elle-même pour ce CD, dans une Fantaisie sur La Bohème de Puccini, qui savait mieux que quiconque utiliser la harpe et lui donner un magnifique rôle de premier plan dans son langage lyrique unique. En une dizaine de minutes, Anneleen Lenaerts concrétise son affirmation en déployant sa superbe technique, exploitant des thèmes connus qui ont l’air d’avoir été destinés à son instrument ; elle leur apporte une belle dimension opératique.

Le programme contient des pages très célèbres dont la transcription pour la harpe ravira les amateurs du genre, mais permettra aussi aux mélomanes curieux de découvrir tout un univers de nuances, d’articulations, de dynamisme et de variations de timbres. Car la soliste possède une profondeur de son et une clarté de jeu qui confirment que ce n’est pas par hasard qu’elle participe aux aventures de la Philharmonie de Vienne depuis dix ans, une formation dont l’ouverture aux femmes est lente, mais progressive. Il faut l’entendre dans la poésie délicate de la Chanson de la lune de Rusalka, les élans du Preislied des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg ou les finesses d’Eugen Onegin. Chacune des pièces proposées entraîne l’auditeur dans un monde onirique aux sonorités inhabituelles qui se révèlent pleines d’enchantement.

On s’en persuadera tout à fait en écoutant ce qui nous apparaît comme deux sommets de l’album : la transcription de La Moldau par le compositeur pragois Hans Trneček (1858-1914), qui a aussi arrangé l’extrait wagnérien choisi, et celle des Préludes de Liszt par Anneleen Lenaerts elle-même. Chez Smetana, on retrouve l’atmosphère idéale de la rivière, de son cours majestueux et des péripéties du voyage, alors que chez Liszt, la dimension poétique, voire philosophique, liée aux combats de la vie, à la recherche du bonheur et de la liberté, est bien soulignée. Mais au-delà, dans ces deux partitions, c’est la densité quasi symphonique produite par la harpiste qui est impressionnante. 

Pour les deux dernières pièces choisies, Anneleen Lenaerts bénéficie de la présence complice à ses côtés du premier violon de la Philharmonie de Vienne et de trois collègues, dans des arrangements pour harpe et cordes qui sont de la main de Wouter Lenaerts, le frère de la soliste. Une valse raffinée du Chevalier à la rose, qu’Anneleen Lenaerts avoue être son opéra préféré, précède le célébrissime Danube bleu. On ne peut que succomber au charme de la première, ainsi qu’à la charge émotionnelle de la seconde, avec ce velouté indéfinissable si révélateur que le violon de Rainer Honeck, l’alto de Benjamin Morrison, le violoncelle de Raphael Flieder et la contrebasse de Michael Bladerer ajoutent au jeu céleste de la harpiste. Ce programme a été gravé en mars 2021 au fastueux Casino Baumgarten situé dans un palais du XVIIIe siècle, qui dispose d’un studio d’enregistrement. C’est un plaisir délicat à savourer comme il se doit : à la viennoise… 

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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