Entre phare et lanterne : orgue d’inspiration baroque germanique, à Sainte-Waudru de Mons

par

Hell und Dunkel. Dietrich Buxtehude (1637-1707) : Magnificat primi toni BuxWV 203 ; Praeludium en fa dièse mineur BuxWV 146 ; Wie schön leuchtet der Morgenstern BuxWV 223. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Christ lag in Todesbanden ; Fantaisie et Fugue en sol mineur BWV 542. Bernard Foccroulle (*1953) : Toccata. Sofia Goubaïdoulina (*1931) : Hell und Dunkel. Maria Vekilova, orgue de la collégiale Sainte-Waudru de Mons. Livret en allemand, anglais. Avril 2022. TT 66’09. SACD Aeolus AE-11361

Nous avions remarqué Maria Vekilova par sa contribution à l’intégrale Messiaen enregistrée à la cathédrale de Toul. Elle nous revient sous les projecteurs de ce programme à vocation contrastée, qui tire son titre de la pièce homonyme de Sofia Goubaïdoulina : « clair et obscur ». Le concept se structure autour du tempétueux Stylus Phantasticus, une spécialité septentrionale du XVIIe siècle dont Buxtehude fut un glorieux représentant. Dans une tonalité à l’époque aussi incongrue que provocante (fa dièse mineur),  le caractériel Praeludium BuxWV 146 en procure un célèbre exemple, quoique le BuxWV 140 aurait peut-être encore mieux convenu. Ce même Praeludium avait déjà été retenu dans l’album « Kontrasteja », de thématique similaire, réalisé en terre finlandaise par Kari Vuola à l’église du couvent de Naantali (Alba, mars-avril 2011). Contraste de la forme à segments, comme autant de volets (narratifs ou fugués) d’un flamboyant polyptyque. Contraste des dynamiques et des alternances de claviers. Contraste des sonorités entre fonds et anches –volontiers bourrues dans les tribunes baroques d’Allemagne du Nord.

C’est pour une telle facture qu’a été conçue la Toccata de Bernard Foccroulle, et en particulier pour le Freytag/Tricoteaux de l’église Saint-Vaast de Béthune qui a décalqué cette esthétique. Cette pièce s’intègre fort logiquement au parcours, en l’abondant par une œuvre d’aujourd’hui, et permet à la jeune organiste de rendre hommage à l’un de ses professeurs. L’œuvre de sa compatriote se trouve servie par une prestation tout aussi inspirée, et techniquement affutée. Ce versant contemporain, qui bénéficie certes d’une discographie clairsemée, est sous l’angle interprétatif le plus réussi de ce SACD.

Car on reste d’abord réservé sur la (large) part baroque du récital, tant Maria Vekilova manifeste un jeu prudent, sous scialytique, dans ce Praeludium dont nous avons en mémoire tant de lectures plus chamarrées, sous les doigts de Michel Chapuis (Auvidis), Helmut Walcha (DG), Olivier Vernet (Ligia), Ton Koopman (Challenge), ou Helga Schauerte sur le rare Donat de Luckau (Syrius)… Cette douce manière convient mieux au Magnificat primi toni, là où l’amateur friand de spectacle aurait peut-être préféré trouver la verve du Te Deum du même Buxtehude -l’autre texte latin qu’illustra le compositeur. En tout cas, le contraste revendiqué par ce projet peut aussi s’inviter de façon symbolique, ainsi dans deux fantaisies de choral. L’étoile du matin qui luit sur fond d’aurore dans Wie schön leuchtet der Morgenstern, là encore distillé avec une délicate poésie par Maria Vekilova. Ou ce Christ lag in Todesbanden de Bach : « dans les ténèbres de la mort est née la lumière de la résurrection » précise joliment le livret. 

Partagé entre le deuil et le réconfort, le diptyque BWV 542, dans une douloureuse tonalité mineure, s’investit aussi d’une polarisation dialectique. Ce sol de fanal qui devient presque… solaire dans la Fugue qui voudrait dissiper l’affliction. Là, on succombe à l’imagerie très suggestive de la musicienne russe, sa Fantaisie excavée dans les anches d’abysse de la collégiale Sainte-Waudru, puis sa sereine élucidation polyphonique où l’éclat n’a pas oublié la part d’ombre dont il provient et qu’il semble vouloir exorciser par un phrasé adéquatement résilient. Une sage convalescence, un brin philosophe, qui conclut un disque inégalement convaincant, mais sincère. Et qui donne l’occasion d’admirer, dans une avenante captation, le vaste et somptueux instrument de Mons, rénové en 2016-2018 par les ateliers Klais et Thomas.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 7 (BuxWV 146) à 9,5

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.