Entre Rome et Flandres : captivante réhabilitation de l’art vocal de Johannes Pullois

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The works of Johannes Pullois (c1420-1478) : Flos de spina. Pour toutes fleurs. Globus ignaeus. Hé, nesse pas grant desplaisir. Quelque langage. So lanc so meer. De ma dame. La bonté du Saint-Esperit. Se ung bien peu. Les larmes. Op eenen tijd. Resone unice genito. Victimae paschali. Gloria. Amen. Sollazzo Ensemble. Carine Tinney, soprano. Sophia Faltas, mezzo-soprano. Jonatan Alvarado, Lior Leibovici, ténor. Franziska Fleischanderl, psaltérion. Ori Harmelin, luth. Filipa Meneses, Anna Danilevskaia, vihuela de arco. Juillet 2024. Livret en anglais, français, néerlandais ; paroles en langue originale, traduction en anglais et néerlandais. 49’17’’. Passacaille 1128

« Ni Dufay, ni Binchois » : amusante rhétorique que cette sorte de chleuasme qui semble humblement situer un compositeur parmi deux de ses illustres contemporains, pour mieux le mettre en valeur, ou du moins attirer l’attention sur lui. Au point de lui consacrer un plein album, au sein d’une discographie désertique, sauf à se rappeler le bref motet Flos de spina enregistré en juin 2001 par le Binchois Consort (Hypérion, en complément de messes d’Antoine Busnois et Petrus de Domarto) et précédemment par le Clerk’s Group (ASV, 1995).

On saluera l’érudition du copieux livret qui synthétise les récentes recherches musicologiques à son sujet. Son patronyme le relie au village de Pulle dans la province d’Anvers, cité où il reçut son éducation musicale avant de devenir maître de chant à la collégiale Notre-Dame. Preuve de sa précoce renommée, on le retrouve en 1447 à la chapelle papale où il sert une vingtaine d’années, tout en accumulant les prébendes dans les diocèses de sa région d’origine. Dix ans avant sa mort, il regagne Anvers pour y exercer diverses fonctions religieuses. Par sa Missa sine nomine qu’on a longtemps hésité à lui attribuer (en 1981, une étude de Gareth Curtis se pencha sur cette paternité), il s’affirme comme un précurseur de la messe cyclique. L’ensemble Sollazzo la laisse de côté, pour mieux se pencher sur le reste de la production qui lui survit, comprenant une vingtaine d’œuvres, principalement conservées dans des sources italiennes.

Après le motet marial Flos de spina, le programme inclut quelques pages religieuses : un Gloria lui-aussi à quatre voix, la séquence grégorienne Victimae paschali harmonisée, et des textes latins (Resone unice genito, Amen, Globus ignaeus) s’appuyant sur un matériau musical d’emprunt. L’experte équipe de Sollazzo a procédé à deux contrafacta sur une trame de Pullois lui-même. Le genre de la chanson française est particulièrement représenté, singulièrement sous forme de ballade (La bonté du Saint-Esperit) mais plutôt sous la forme du rondeau alors en plein essor. Deux chansons néerlandaises sont aussi en menu, du moins le refrain qui en subsiste.

Stimulée par une commande du festival « Laus polyphoniae » d’Anvers en 2023, la troupe d’Anna Danilevskaia nous vaut une captivante exhumation, menée avec un zèle de défricheur, que nous avions déjà salué en mai 2022 autour du Chansonnier de Louvain, chez le même label. Voix souples, justes et séduisantes, un instrumentarium aussi congru que pertinent (luth, psaltérion, vièles) : une recette simple mais qui comble et charme, surtout dans l’enchanteresse acoustique de la Jezuïetenkerk d’Heverlee captée par les micros de Manuel Mohino.

Cinquante minutes : l’anthologie s’avère brève mais offre un significatif aperçu de l’art de Pullois : tant de pépites qu’on s’indigne que le « clericus Cameracensis » resta si longtemps sous les radars. L’interprétation est partie prenante de cette admirable réussite, clamant l’importance de cet acteur négligé, à la charnière d’une époque. Si, au sein d’un album qui les aligne, l’on devait désigner une seule perle pour s’enquérir de cette redécouverte : l‘entraînant Quelque langage, et son capiteux mélisme grigné au grave des archets.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire & Interprétation : 10

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