Berio et Žuraj par Sir Simon Rattle 

par

Luciano Berio (1925-2003) : Coro ; Vito  Žuraj (1979) : Automatones. Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, direction : Sir Simon Rattle. 2023. Livret en allemand et anglais. 76’55’’. BR Klassik 900650.

Cet album marque le 50e titre de la collection BR Klassik consacrée aux concerts captés dans le cadre de la série de concerts de la Radio bavaroise dédiée à la musique de notre temps. Le moins que l'on puisse dire, c’est que ce millésime n°50 est une immense réussite. 

Le Centenaire de la naissance de Luciano Berio n’a pas tant stimulé les programmateurs et à l’exception des inévitables Sinfonia et Folks Songs, on n’a pas eu grand chose à se mettre sous la dent ! On accueille donc avec grande satisfaction cette nouvelle lecture de Coro, l’un des grands, si ce n’est “le” chef d’oeuvre de son compositeur.   Coro caractérise également l’oeuvre de Berio par son engagement politique et par sa référence à l’élément populaire. De l’engagement politique de ce compagnon de route de la gauche italienne, il retient ici les mots du poète Pablo Neruda, martyr du Chili ; des musiques populaires, il en reprend les textes amérindiens, africains, polynésiens, gabonais, croates, italiens mais sans jamais citer trop explicitement les éléments musicaux d’origine tout en les traduisant dans les principales langues européennes usuelles. Berio a toujours été comme un poisson dans l’eau dans cette “musique fusion” qui catalyse son énergie et sa créativité. 

L’oeuvre peut s’envisager comme universelle par la variété des langues requises, et le tout fusionne dans une symphonie aux procédés d’avant-gardes par les ruptures et les contrastes, tel un immense graffiti musical dans une sorte de geste à la Pollock par son explosion de sons et de timbres ! C’est renversant, galvanisant, inspirant ! En résumé, c’est foncièrement génial.  Grand connaisseur et défenseur des modernités, Sir Simon Rattle a toujours été proche de cette partition qu’il dirige assez régulièrement (on se souvient de concerts à Lucerne avec les jeunes de l’Académie et à Berlin lors de son mandat avec le Philharmonique). Au pupitre du chœur et de l’orchestre symphonique de la Radio bavaroise, il bénéficie d’artistes fabuleux capables de ciseler les matériaux choraux et instrumentaux, tel un diamant étincelant. Simon Rattle est l'horloger parfait de cette grande fresque, il est attentif aux équilibres et aux dynamiques. Il n'y certes pas l”nergie abstravice de l’interprétation historique de Luciano Berio avec les forces de la radio de Cologne (DGG), mais le chef anglais porte cette partition vers un grand raffinement des timbres et des sonorités. C’est du Berio d’esthète dont on ne s’en lasse pas !  

Au terme des cinquante minutes de Coro, on pense avoir tout entendu ! Quelle erreur car les Automatones du Slovène Vito  Žuraj sont une merveille et une révélation. Il faut reconnaître que nous n’avions rien entendu ce compositeur naïf de Maribor qui fait une belle carrière. A propos du titre de son oeuvre, le compositeur nous dit : “ les Automatones étaient des statues animées en métal représentant des animaux, des humains et des monstres, créées par le forgeron divin Héphaïstos et l'artisan athénien Dédale. Les plus audacieux de ces créatures automatiques — y compris des aigles caucasiens, des sirènes dorées et des taureaux de bronze — devaient être capables de penser et de ressentir comme des humains. Dans un mythe, lorsqu'Héraclès visitait l'atelier de Dédale, il détruisit l'une des statues, croyant à tort avoir été attaqué par une vraie personne. Voici un vétéran de l'intelligence artificielle, un sujet qui façonne désormais le monde comme jamais auparavant. Derrière l'IA se cache une programmation informatique "auto-apprenante" extrêmement délicate, ce qui m'a stimulé à rechercher des illusions sonores de séquences de tons apparemment interminables ou des accélérations rythmiques, ainsi qu'à utiliser différents types de compétences motrices en général. Mais l'intelligence artificielle devrait-elle également être capable de "ressentir" — ou est-ce juste une question de temps ?* Nous n’avons pas plus d’indication pour nous plonger dans cette incroyable partition de 25 minutes pour grand orchestre qui captive dès les premières secondes. La maîtrise de d’écriture se combine à une inventivité dans la recherche des timbres et des alliages instrumentaux. Le compositeur construit un arc dramaturgique fait de contrastes de groupes de sonorités, métalliques, lyriques, soufflées. On pense naturellement à Ligeti, autre génie des sons, ou parfois à Magnus Lindberg pour le côté explosif, mais tout est éminemment personnel. A l’inverse de tant de partitions de notre temps ces Automatones  tiennent la longueur et captive de bout en bout. La réussite de cette interprétation ne serait pas possible dans la virtuosité des musiciens de la Radio bavaroise sous la direction inspirée de Sir Simon Rattle. 

Le prise de son, qualité BR, est encore une immense réussite mais la captation d’Automatones  est sans aucun doute un absolu en termes de répertoire contemporain. 

Dès lors, encore une immense réussite du tandem Rattle / Radio bavaroise qui est certainement l’une des associations artistiques les plus magistrales de notre temps.  

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