Extraits du Troisième Livre de Marais, tout en subtilité sous l’archet de Ronald Martin Alonso

par

Le grand ballet. Marin Marais (1656-1728) : Suites en sol majeur, en do majeur, en la mineur ; La Guitare [Troisième Livre de Pièces de Viole]. François Campion (1686-1747) : Gigue en sol majeur. Jean-Henry D’Anglebert (1629-1691) : Chaconne en do majeur. Ronald Martin Alonso, viole & direction. Ensemble Vedado. Andreas Linos, viole. Manuel de Grange, théorbe, guitare. Paolo Zanzu, clavecin. Octobre 2020. Livret en français et anglais. 62’45. Paraty 1321.296

Après un album Les Folies Humaines, puisant en 2014 aux deuxième, quatrième et cinquième Livres, Ronald Martin Alonso poursuit son exploration du corpus marésien, par le présent CD consacré à des extraits du Livre de 1711 : vingt-cinq pièces parmi les quelque cent-trente que compte ce recueil, ouvert à un public d’un niveau moins exigeant. « Tous les Soins que j’ay pris dans cet ouvrage n’ont eû d’autre objet que de luy plaire » lit-on dans l’Avertissement.

Comme de coutume, la sélection se fournit au catalogue des tonalités pour en tirer des Suites (trois en l’occurrence), sur ce patron (qui en exclut Gavottes et Menuets) : Prélude, Caprice (ou Fantaisie), Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, Chaconne (ou Le Grand Ballet, qui conclut le disque et lui prête son titre). Le choix de ce titre n’est peut-être pas un hasard si l’on considère que l’artiste cubain assista dans sa jeunesse aux spectacles du Grand Théâtre de La Havane, la danse stimulant son goût précoce pour la musique. Ce n’est peut-être non moins fortuit que le programme valorise La Guitare (plage 9), quand l’on sait que Ronald Martin Alonso étudia d’abord la guitare parallèlement à la contrebasse. Cette pièce est ici introduite non par l’habituel exergue en pizzicato de viole, mais par Manuel de Grange, qui la fait précéder d’une Gigue de François Campion.

L’illustration de couverture pourrait laisser entrevoir quelque exubérance. Or au menu de cette heure, point de Chanterelle, de Cor de chasse, ni Bourasque, ni Folette, ni Saillie du Caffé : l’anthologie n’a pas convié les pages les plus démonstratives. « Une chorégraphie quintessenciée. Les humeurs ne sont qu’esquissées, peintes au frais pinceau » écrivions-nous en mars 2021 au sujet de l'album Dialogues, joué en solo sur un instrument du facteur François Danger (disparu quelques mois avant les sessions), copie de Nicolas Bertrand. On reprendrait volontiers ces mots pour décrire la finesse qui se dégage de ce récital, dont les atmosphères n’apparaissent pas les plus caractérisées, mais nuancent toute la palette de Marais. Un ballet qui ne quitte pas les pointes et s’anime en gestes infiniment soupesés, bénédictins, révoquant toute emphase. Quitte à ce que les élans dénués d’ostentation (Double de la Gigue du panel en la mineur) escamotent une part du théâtre qu’on attendrait parfois ?

Dans les Suites anglaises par Paolo Zanzu, nous succombions à une « politesse qui n’accourt pas à la soupe, ni pour taper la pose » : le claveciniste, professeur au Conservatoire de Bruxelles, tisse autour du soliste un accompagnement là encore tout de tact, et prodigue la même grâce à la Chaconne de D’Anglebert. L’église haute de Saint-Michel-l'Observatoire offre un écrin capté avec le plus grand naturel, sans résonance parasite dans le bas du spectre de la viole. Citons enfin le parfait équilibrage avec la contrepartie d’Andreas Linos pour conclure que tout concourt à faire de cette interprétation un bréviaire de subtilité et de pudique émotion. Un style des plus justes, si on se réfère à la délicate esthétisation qui imprègne ce Livre.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 



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