Sainte-Colombe : les pièces du manuscrit de Tournus, empoignées par Ronald Martin Alonso
Dialogues. Sainte-Colombe (c1640-1700) : Pièces en sol mineur, do majeur, ré mineur. Philippe Hersant (*1948) : Le Chemin de Jérusalem ; Pascolas. Ronald Martin Alonso, viole de gambe. Octobre 2019. Livret en français, anglais. TT 60’47. Paraty 820196
Trente ans précisément que le film Tous les Matins du Monde (1991), récompensé d’une pluie de César, révélait au grand-public ce personnage de Sainte-Colombe dont on sait bien peu, et qui inspira à Pascal Quignard la biographie imaginaire à la base de l’adaptation cinématographique. L’occasion pour Jordi Savall et Wieland Kuijken d’enregistrer un panel de Concerts à deux violes esgales : cet album de 1992 succédait à leur premier vinyle de janvier 1976 qui avait déjà contribué à la redécouverte de ce compositeur.
La discographie consacrée à ces duos (il y en a 67) recèle à peine une dizaine d’albums ; plus rares encore ceux qui se consacrent aux autres pièces, dites du Manuscrit de Tournus (c. 1690), que Jonathan Dunford (auteur du livret) étudia en 1997 et attribua à Sainte-Colombe. Les œuvres de cette source bourguignonne furent éditées (référence G231) chez Güntersberg en 2013. « Par les soins de [Herausgegben von, sic : comique involontaire que les germanistes comprendront] Günter et Leonore von Zadow » nous dit la page 2 du livret. Les pièces à titre des Concerts cèdent ici la place à des conventionnelles danses de cour, groupées par tonalité parmi lesquelles le programme a retenu quelques-unes des plus fréquentes en ce recueil -ré mineur notamment.
Après Les Folies Humaines, son premier disque solo (2015), consacré à Marin Marais, Ronald Martin Alonso se confronte donc au maître de celui-ci, figure énigmatique, innovateur de la pratique de la basse de viole auquel on prête l’adjonction de la septième corde permettant un jeu plus véloce dans le grave. Paolo Pandolfo s’était déjà penché sur ce corpus lors de son enregistrement de janvier 2005 à Namur (Glossa), accompagné par Thomas Boysen (guitare et théorbe). Le virtuose cubain, formé aux Conservatoires de Paris et Strasbourg, a lui opté pour une prestation purement soliste, sur un instrument du facteur François Danger (disparu quelques mois avant les sessions), copie de Nicolas Bertrand.
Captée en l’église haute de Saint-Michel-l'Observatoire, dans le Sud-Ouest de la France, la viole nous apparaît dans une acoustique agréable, à la fois proche et ample, quitte à manquer un peu de focalisation. Jeu fin, filé, mais aussi impulsif et pointu quand les Prélude, Gigue ou Courante réclament de l’énergie. L’interprétation arbore un portrait fier, volontariste et singulièrement moderne, où l’élan domine la vocalité. La fermeté des traits dessine des appuis sans pesanteur, des tournures sans insistance, privilégiant la ligne de fuite et la légèreté. Une chorégraphie quintessenciée, dans le sens où Nietzsche écrivait « Tout ce qui est divin marche d'un pied délicat ». Les humeurs ne sont qu’esquissées, peintes au frais pinceau, bien loin des cocons de mélancolie et des ruminations taciturnes qu’on prête à ce répertoire d’ombre.
Justifiant le titre de l’album, Dialogues, Ronald Martin Alonso sépare ces trois Suites par deux créations de Philippe Hersant, un des rares contemporains à écrire pour la viole : Le Chemin de Jérusalem (2003), citant le Labyrinthe de Marais, et Pascolas (2019) inspiré par un rituel des Indiens Yaquis du Mexique et commandé par l’interprète.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation: 9
Christophe Steyne