Fanny et Felix Mendelssohn réunis post mortem par le Quatuor Takács

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Fanny Mendelssohn (1805-1847) : Quatuor à cordes en mi bémol majeur. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Quatuors à cordes en la mineur op. 13 et en fa mineur op. 80. Quatuor Takács. 2020. Notice en anglais, en français et en allemand. 75.16. Hyperion CDA68330.

Le Quatuor Ebène avait déjà enregistré pour Erato en 2013 un couplage du seul quatuor de Fanny Mendelssohn avec les opus 13 et 80 de son frère Felix. Le « nouveau » Quatuor Takács fait de même pour Hyperion en associant ces deux grandes figures dont l’attachement a été si fort que Felix, incapable de supporter la disparition de Fanny à moins de quarante-deux ans, est mort à peine six mois plus tard. L’idée d’associer dans un album ces êtres si proches coule de source, d’autant plus que l’opus 80 date des derniers mois de la vie du compositeur du Songe d’une nuit d’été et est le reflet de son inguérissable douleur.

« Nouveau » Quatuor Takács ? Il s’agit en effet du premier CD d’une équipe modifiée. Depuis la fondation en Hongrie en 1975 d’un ensemble installé aujourd’hui au Colorado, quelques changements sont intervenus dans la composition : si András Fejér est inamovible au violoncelle depuis le début de l’aventure, Edward Dusinberre, premier violon, avait remplacé Gábor Takács-Nagy à ce poste en 1993. Depuis 2018, Harumi Rhodes, second violon, a rejoint le quatuor et, l’an dernier, l’altiste Richard O’Neill est venu le compléter. Disons-le d’emblée : l’association actuelle nous comble d’aise et va sans doute, comme par le passé, orner de nouveaux fleurons une discographie déjà riche. On annonce, toujours pour le label Hyperion qui a succédé à Decca en 2005, des quatuors de Haydn pour 2022. 

Répétons-le : associer le frère et la sœur Mendelssohn est un acte de réhabilitation pour cette artiste très douée qui, en raison du contexte social de son temps, n’a pu faire la démonstration de son talent d’interprète que dans un cercle privé, et encore moins de sa valeur en tant que compositrice, la restriction familiale allant même jusqu’à l’impossibilité pendant longtemps de se faire éditer valablement. Fanny a laissé près de quatre cents œuvres dans plusieurs genres, dont la découverte va, c’est certain, se poursuivre au fil du temps grâce au mouvement actuel qui pousse à s’intéresser de plus en plus aux compositrices féminines.

Saluons donc comme il se doit ce rapprochement fraternel, huit ans après celui du Quatuor Ebène. Ce dernier avait placé l’oeuvre de Fanny entre les deux pages de son frère, ce qui, chronologiquement, était cohérent. Le Quatuor Takács, de son côté, met tout de suite la sœur en lumière, en lui donnant la première place du programme. On savoure ainsi cette partition d’une vingtaine de minutes qui date de 1834, ne semble jamais avoir été jouée du vivant de Fanny et est tombée dans un très long purgatoire musical avant d’être publiée en 1988, ouvrant ainsi la voie à une véritable reconnaissance de sa valeur et à son enregistrement. Ce que n’ont pas manqué de faire le Quatuor Asasello (Avi Music, 2009) ou les Quatuors Florestan (Solstice) ou Merel (Genuin) en 2011, dans un couplage avec des œuvres de Felix, ou de Marie Jaëll pour le Quatuor Florestan. Après un Adagio ma non troppo à l’intériorité expressive qui ne cache pas son admiration pour Beethoven ni pour son frère avec de brèves allusions à l’ouverture Mer calme et heureux voyage, un Allegretto, d’une liberté presque exubérante, précède une Romance émouvante, dont les passages rêveurs vont conduire à un Allegretto molto vivace final que l’on peut qualifier d’exaltant. Fanny avait un vrai talent, ce quatuor le démontre avec éloquence. Le Quatuor Takács en donne une version équilibrée et vibrante, que l’on rapprochera qualitativement de celle du Quatuor Ebène.

L’opus 13 de Felix, qui date de 1827 (il a dix-huit ans), se souvient lui aussi des leçons de Beethoven, mort peu de mois auparavant, tout en s’inspirant de l’un de ses propres lieder, Ist es wahr ? opus 9 n° 1, dont le thème principal va se retrouver tout au long du quatuor. Si une grande tension, et même une fougue passionnée, règnent dans le premier mouvement, l’Adagio non lento qui suit est empreint d’une triste mélancolie, proche de la douleur. Un lyrisme léger, presque transparent, s’invite dans l’Intermezzo avant un valeureux Presto final, qu’un Adagio clôture par une citation plus nette du lied. La jeune maîtrise de Mendelssohn s’affiche dans cette partition aux accents capables de fraîcheur comme de dramatisation. 

L’idée de placer dans le programme l’opus 80 juste après le quatuor de Fanny assure une dimension poignante à la relation fraternelle. Felix signe, en quelque sorte, un éloge funèbre à la mémoire de Fanny dans cette partition douloureuse achevée en septembre 1847. Quatre mois après l’irréparable perte, Felix clame son insupportable douleur dans le mouvement initial, confrontant l’auditeur à une sorte de rage désespérée qui n’est pas courante dans ses compositions. Après un Allegro où l’on sent la torture qui le dévore, un sublime et déchirant Adagio (en recherche d’apaisement ?) précède l’Allegro molto final, qui laisse pantois d’émotion, le Quatuor Takács arrivant presque à rendre concrètes les larmes que l’on entend se déverser dans les dernières mesures. On n’en sort pas indemne. Cet enregistrement, admirable de bout en bout, a été effectué en novembre 2020 à l’Arts Center de la ville de Lone Tree dans le Colorado. Il trouvera une place plus que justifiée aux côtés de la tout aussi splendide version du Quatuor Ebène. Là où elle est, Fanny peut se réjouir de cette nouvelle réunion musicale post mortem avec son frère tant aimé…

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

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