Festival Berlioz 2025 « À la vie, à la mort ! » : Berlioz célébré en contrastes
L’édition 2025 du Festival Berlioz (21-31 août) s’est achevée sur un succès record : plus de 28 000 spectateurs, soit une hausse de plus de 40 %, alors même que la durée de la manifestation avait été réduite. Placée sous le thème « À la vie, à la mort ! », cette édition a, une fois encore, joué sur les contrastes, mêlant grandeur et intimité.
Requiem : voyons la chose grande
Le goût du gigantisme et de la spatialisation sonore cher à Berlioz a toujours été pleinement assumé par le Festival. On se souvient des deux cloches, coulées en 2013 pour la Symphonie fantastique, ou encore du cheval de Troie inauguré en 2019 pour Les Troyens. Ces emblèmes veillent aujourd’hui sur l’entrée du Château Louis XI, lieu des concerts du soir.
Le 29 août, c’est le Requiem ou Grande messe des morts qui a pris possession de l’espace. Quelque 120 choristes venus de cinq chœurs — Spirito, le Jeune Chœur Symphonique de Lyon, le Jeune Chœur d’Auvergne, la Maîtrise des petits chanteurs de la cathédrale de Lyon et plusieurs chœurs amateurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes — rejoignaient un orchestre tout aussi fourni. Pour l’occasion, l’ensemble mozartien Appassionato était considérablement renforcé, notamment avec six timbaliers, cinq cymbalistes et quatre groupes de cuivres disposés aux quatre coins de la salle.
Diriger une telle armée de musiciens exige une baguette à la fois précise et dynamique : Mathieu Herzog s’y est employé avec une énergie tantôt communicative, tantôt explosive. Pour un rassemblement de formations différentes, le chœur impressionne par leur homogénéité, notamment dans le « Quaerens me » et l’ « Hostias ». Les cuivres, malgré quelques décalages inévitables dus à la disposition spatiale, ont offert un éclat saisissant dans le « Dies irae », dramatique à souhait. Le « Lacrimosa », dans une surprenante écriture théâtrale, a marqué l’auditoire par la force des cuivres et des percussions. Dans le « Sanctus », le ténor Kevin Amiel a séduit par la luminosité de son timbre, malgré des aigus quelque peu serrés. Tout au long de la soirée, la rondeur des cordes a apporté une suavité en magnifique constast face à la flamboyance de l’ensemble. Voilà une performance grandiose, fidèle à la vision monumentale de Berlioz.

Symphonie fantastique et Lélio revus par Arthur Lavandier
Le lendemain, l’ensemble Le Balcon et Maxime Pascal proposaient une autre manière de voir grand : donner en une seule soirée la Symphonie fantastique et Lélio ou le Retour à la vie, conformément à l’idée du compositeur selon laquelle Lélio « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément ». Mais pas dans leur forme originale. Arthur Lavandier en a conçu une relecture audacieuse, adaptée à un effectif réduit et enrichie de dispositifs électroniques.
Créée en 2013 en clôture du Festival Berlioz, cette version de la Symphonie fantastique regorge d’inventivité : cuivres amateurs intégrés à l’orchestre pour les deux derniers mouvements, incursions vers d’autres styles jusqu’au jazz au cœur de la partition notamment dans « Un bal »… Dix ans plus tard, elle conserve toute sa fraîcheur. Le cor des Alpes convoqué dans la « Scène aux champs » reste une belle idée, même si l’écart de diapason et les difficultés de souffle en atténuent l’effet. Si les immenses cloches coulées pour l’édition 2013 figuraient dans l’enregistrement de 2016 (Outhere), c’est le synthétiseur qui s’y substitue ce soir. Dans Lélio, le comédien Thibaut Thezan incarna avec intensité ce héros à vif, figure emblématique du romantisme. L’esprit populaire affleurait aussi : bénévoles du festival jouant des brigands, musiciens devenant choristes dans le « Chant de bonheur ». Lavandier joue des effets de fragmentation, faisant entrer et sortir les instrumentistes selon les scènes, mais aussi dans l’instrumentarium avec un clavier et une guitare électriques. Au terme de ces récits fragmentés, la « Fantaisie sur “La Tempête” de Shakespeare » prend alors une dimension importante sans sombrer dans l’excès. Une apothéose, qui renouvelle encore l’idée de gigantisme si chère à Berlioz.

Concerts à l’église, contrepoids intime aux soirées grandioses
Dans l’église romane du village — où Berlioz fut baptisé —, les séries de musique de chambre constituent toujours un rendez-vous attendu. Cette année, l’intégrale des mélodies de Berlioz en quatre concerts fit date. Mais un autre moment marquant fut le concert-lecture de La Comédie de la mort de Théophile Gautier, interprété par Jean-Vincent Brisa et la pianiste Aline Piboule, dont l’épure poétique répondait au monumental Requiem de Berlioz.
Le comédien ne se contente pas de lire : il incarne les poèmes avec intensité, leur conférant un relief dramatique, comme une pièce de théâtre. La pianiste, de son côté, a choisi des pages de Debussy, Fauré, Bizet, Delibes, Ropartz ou Cras, qui accompagnent les vers avec justesse et ouvrent de nouveaux horizons à l’imaginaire. Son jeu, tour à tour délicat, mystérieux ou lumineux, semblait transcender les angoisses et incertitudes du texte. Si l’alternance constante entre récitation et musique pouvait créer une certaine uniformité, l’ensemble demeura d’une rare poésie.
Le dernier rendez-vous de musique de chambre fut confié au Romain Leleu Sextet, dans un programme autour de Jean-Baptiste Arban (1825-1889), figure emblématique de la pédagogie de la trompette. Sur trompettes ancienne et moderne ou cornet à piston, le musicien fait résonner des mélodies célèbres ou oubliées, déployant une virtuosité éblouissante : timbres veloutés ou éclatants, douceur aérienne ou brillance rayonnante. L’arrangement est toujours ingénieux, transmettant la version originale avec caractère. Dans une atmosphère de partage et de convivialité, l’église refermait ainsi ses portes, en attendant de vibrer à nouveau lors de la prochaine édition.
En marge des concerts, la Maison natale de Berlioz propose jusqu’au 31 décembre une exposition temporaire consacrée aux pochettes de disques vinyles de la Symphonie fantastique. L’imagination des graphistes et designers, tour à tour audacieuse, surréaliste ou élégante, rivalise ici avec la puissance évocatrice de la musique elle-même. Un prolongement visuel et ludique qui permet d’aborder autrement l’univers de Berlioz.
Concerts des 29 et 30 août, Festival Berlioz de Côte Saint-André
Victoria Okada
Crédit photographique : Festival Berlioz-Bruno Moussier