Gergely Madaras, à propos des Béatitudes de César Franck 

par

Le chef d’orchestre Gergely Madaras, directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège (OPRL) fait paraître un nouvel enregistrement des Béatitudes de César Franck (Fuga Libera), l’un des grands chefs-d'œuvre du compositeur né à Liège. A cette occasion, il répond à aux questions de Crescendo-Magazine. 

Ces dernières années, vous avez dirigé et enregistré un grand nombre d'œuvres de César Franck, qu'elles soient symphoniques, chorales ou lyriques. Votre vision personnelle de Franck a-t-elle évolué au cours de cette aventure ?

Absolument. César Franck était pour moi un compositeur de formidable musique de chambre et de musique pour orgue, que j'admirais à distance et sans trop savoir grand-chose de son génie. Grâce à ce bicentenaire, et surtout grâce au fait que notre orchestre a entrepris de le célébrer aussi sérieusement que possible, en le mettant à l’honneur pendant toute une saison, en programmant la plupart de ses œuvres les plus emblématiques, sans ménager son temps, son argent et ses efforts, nous avons réussi à éveiller une attention renouvelée et rafraîchie sur les qualités incroyables de ce compositeur. Ce fut en effet un voyage très personnel pour moi aussi, qui a été gratifiant tant sur le plan artistique que sur le plan humain. Il m'a montré les multiples facettes du génie du compositeur : en tant qu'orchestrateur, en tant que peintre de couleurs sonores transparentes, sensibles et luxuriantes, décrivant et évoquant des émotions humaines profondes. Bien au-delà de rendre cette musique plus proche de moi, d'une certaine manière, j'ai l'impression qu'elle fait désormais partie de mon ADN, et je m'engage à continuer à programmer ses pièces lors de mes concerts dans le monde entier avec différents orchestres, car je suis convaincu qu'elles méritent encore plus d'attention et de reconnaissance au niveau international.

On lit souvent que les Béatitudes sont le chef-d'œuvre vocal de César Franck. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation ?

Il s'agit sans aucun doute d'un chef-d'œuvre. Mais après avoir dirigé son opéra dramatique Hulda et son luxuriant poème symphonique pour chœur et orchestre, Psyché, d'un érotisme presque explicite, je ne peux pas mettre tous mes œufs dans le même panier avec Les Béatitudes. Mais une telle œuvre complexe et plus ou moins statique (non scénique) avec solistes et chœur, qui s'étend sur près de deux heures, s’impose clairement comme une déclaration que Franck a voulu faire, en tant que compositeur en pleine maturité, embrassant certaines des valeurs les plus importantes qui ont façonné sa vie, la religion et l'humanité, entre autres.

Votre nouvel enregistrement des Béatitudes est un grand succès, et vous avez su lui donner une énergie et un sens de l'ensemble qui évitent la lourdeur. Y a-t-il un défi particulier à relever dans l'interprétation de cette vaste partition ?

Les défis sont exactement les caractéristiques que vous avez évoquées : trouver la transparence dans une masse sonore abondamment orchestrée, trouver une ligne dans cette forme excessivement étirée qui est divisée en neuf parties, faire ressortir les vrais caractères des parties solistes apparemment statiques et trouver les bons tempi : Franck avait une immense confiance en ses interprètes et a laissé des indications de tempo relativement vagues. Mais lorsque nous jouons à plusieurs reprises les passages en question, les relations entre les différents tempi et la vitesse idéale de chaque mouvement deviennent tout à fait claires et évidentes, en fonction également de l'acoustique de la salle dans laquelle nous jouons.

Le rôle du chœur est important dans cette partition, et vous avez fait appel au Hungarian National Choir, que vous connaissez bien parce que vous êtes hongrois. Pourquoi avez-vous choisi ce chœur ? Comment ont-ils réagi à la partition ?

Il s'agit d'un chœur de chanteurs et de musiciens hautement qualifiés en qui j'ai confiance et que je connais bien. Bien que la langue française ne soit pas leur langue maternelle, ils ont fait des efforts incroyables pour être aussi idiomatiques que possible dans leur diction, et leur son chaud, fort mais toujours souple, est quelque chose que je voulais vraiment mélanger avec notre merveilleux Orchestre philharmonique Royal de Liège. Je pense également que cela a permis de faire passer un message important en matière d'échange culturel, en montrant que l’œuvre que Franck considérait comme l'une de ses meilleures réalisations a été chantée par un ensemble d'artistes très international, ce qui a permis d'élargir le nombre de fans et d'ambassadeurs de Franck dans le monde entier. J'espère vivement pouvoir présenter bientôt Les Béatitudes en Hongrie également.

J'ai lu que vous allez enregistrer la Faust-Symphonie et la Dante-Symphonie de Liszt. Liszt a également écrit des poèmes symphoniques et des oratorios, tout comme César Franck.  Ces deux compositeurs ont-ils quelque chose en commun ?

Tous deux étaient considérés comme des compositeurs relativement traditionnels parmi leurs contemporains, en ce qui concerne leurs œuvres symphoniques, mais dans ce cadre, ils ont tous deux créé quelque chose de très individuel et de remarquable. Bien qu'ils aient respectivement un héritage francophone et hongrois, ils appréciaient tous deux l'esthétique de l'école romantique allemande en musique classique, et leurs œuvres reflètent et intègrent cet univers sonore. Une autre similitude est qu'ils étaient tous deux des pédagogues passionnés et qu'ils ont créé une solide "base de disciples" composée de nombreux étudiants, admirateurs, musicologues et fans au sens plus large, qui les considéraient comme de véritables maîtres, ont suivi leurs activités et ont perpétué leur héritage longtemps après leur mort.

L'Orchestre philharmonique Royal de Liège est un orchestre qui sonne encore " latin " ou "français ", avec une esthétique fine et élégante qui convient parfaitement aux Béatitudes et aux œuvres de Franck. Comment abordez-vous Liszt avec cette sonorité particulière ?

Notre orchestre est un ensemble remarquable de musiciens venant des quatre coins du monde. Même si nous avons une majorité évidente de Belges parmi eux, leurs origines représentent près de 20 héritages culturels différents : ils sont nés, ont grandi et ont étudié dans de nombreux pays différents et se sentent à l'aise avec un grand nombre de cultures et de profils musicaux différents. L'OPRL est donc presque un caméléon musical au meilleur sens du terme : ils se sentent tout autant « à la maison »  avec une tradition allemande, slave ou d'Europe centrale que dans le répertoire franco-belge, et passent facilement de l'un à l'autre. J'ai toujours considéré cela comme une valeur rare et je les ai encouragés à être aussi flexibles que possible, en étant capables de passer de manière idiomatique et naturelle d'un style musical à l'autre, d'une école à l'autre et d'une époque à l'autre, toujours avec le niveau technique et musical le plus élevé possible. Je suis très fier chaque fois que j'entends et que je vois notre orchestre à l'aise dans n'importe quel type de répertoire, sans perdre le son et l'identité propres à notre orchestre, et j'ai le sentiment que notre public l'apprécie également beaucoup.

Le site de Gergely Madaras : https://gergelymadaras.com

Le site de l'Orchestre philharmonique royal de Liège : www.oprl.be

A écouter :

César Franck (1822-1890) : Les Béatitudes CFF185. Anne-Catherine Gillet, soprano ; Héloïse Mas, mezzo-soprano ; Ève-Maud Hubeaux, contralto ; John Irvin et Artavazd Sargsyan, ténors ; David Bižić, baryton ; Patrick Bolleire et Yorck Felix Speer, basses ; Chœur National Hongrois ; Orchestre philharmonique Royal de Liège, direction, : Gergely Madaras.  2 CD Fuga Libera FUG 817

Crédits photographiques : Benjamin Ealovega

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.