Hommage à Christoph von Dohnányi

par

Le grand chef d’orchestre allemand Christoph von Dohnányi (1929-2025) est décédé à l’âge de 95 ans. Avec sa disparition c’est l'une des dernières figures de la direction d’orchestre du XXe siècle qui s'efface et qui emmène avec lui une certaine idée de l'art et de la fonction du chef d’orchestre.

Christoph von Dohnányi c’est une vie commencée par le tragique de l’Histoire. Si l’on a souvent noté qu’il était le petit-fils du grand compositeur Ernö von Dohnányi, il était le fils de Hans von Dohnányi. Juriste, ce dernier était un résistant au nazisme. Il fut accusé d’être le “père spirituel” du complot raté de 20 juillet 1944, connu sous le nom d’Opération Walkyrie. Arrêté et déporté au camp de Sachsenhausen, il est exécuté en avril 1945. Tout au long du nazisme, Hans von Dohnányi fut un résistant engagé, il sauva de nombreux juifs de la déportation et il est honoré du titre de “Juste parmi les Nations”.

De cet exemple paternel, Christoph von Dohnányi gardera une rigueur morale. Dans un hommage au chef, Norman Lebrecht nous précise que le Christoph von Dohnányi avait une aversion totale pour Herbert von Karajan, déjà à cause de ses compromissions avec le nazisme, mais aussi pour sa position dominante dans le milieu du classique et les abus de pouvoir qui en découlaient, il l’accusa de nuire à l'affirmation dans la carrière de jeunes chefs allemands.

Christoph von Dohnányi, c’est une carrière dans la droite ligne des Kapellmeister : la fosse avant tout et comme lieu d’apprentissage. Il étudie d’abord à la Hochschule de Munich la composition, le piano et la direction d’orchestre. Il est embauché par l’Opéra d’État de Bavière comme pianiste, coach vocal et même figurant. Son talent est répéré et il est primé du Prix Richard Strauss de la Ville de Munich. Il se perfectionne ensuite, en Floride, auprès de son grand-père, avant de revenir en Allemagne. Georg Solti, alors directeur de la musique à l'opéra de Francfort, l’engage comme son premier assistant. En 1957, il décroche son premier poste à l’opéra de Lübeck. Il est alors le plus jeune directeur musical d’Allemagne. Il occupe ce poste jusqu’en 1963, où il devient le Kapellmeister de l'opéra de Kassel. Lors de ce mandat, il ressuscite Der Ferne Klang, le chef-d'œuvre de Franz Schreker banni par les nazis. Les postes s’enchaînent : l’orchestre symphonique de la WDR de Cologne et l’opéra de Francfort, où il revient comme directeur de la musique. Ce mandat, entre 1968 et 1977, est important car le chef s’entoure d’une jeune équipe (dont un jeune dramaturge nommé Gérard Mortier). À Francfort, il impose une nouvelle conception scénique avec des mises en scène contemporaines qui dépoussièrent, confiées à de jeunes pousses de la scénographie, dont certains comme Klaus Michael Grüber ou Hans Neuenfels seront des pilliers des maisons d'opéras jusqu'aux années 2010. De 1977 à 1984, il est directeur artistique et intendant de l'Opéra de Hambourg. Sa carrière va prendre un tournant majeur avec sa nomination à l’orchestre de Cleveland, où il va rester de 1984 à 2000, un mandat au long cours accompagné par des tournées internationales et de nombreux disques pour Decca. En 1994, il est désigné chef principal du Philharmonia de Londres, orchestre dont il fut toujours des plus proches et, entre 2004 et 2010, il fut le directeur musical de l’orchestre de la NDR de Hambourg.

Christoph von Dohnány fut un invité régulier de nombreuses phalanges et il avait tissé des liens avec l’Orchestre de Paris depuis ses débuts en 1980. Au milieu des années 1990, ce dernier n'était pas au mieux de sa forme au sortir des mandats de Semyon Bychkov avec qui la mésentente était complète et Stéphane Lissner, alors à la tête de l'orchestre, avait fait appel à deux personnalités expérimentées et complémenaires comme conseillers musicaux le temps de trouver un nouveau directeur musical : Christoph von Dohnányi et Frans Brüggen (entre 1998 et 2000). Que ce soit à l’ancienne Salle Pleyel, jusqu’à la Philharmonie de Paris, sans perdre de vue les années d’exil à Mogador, Christoph von Dohnányi revenait chaque année jusqu'en 2019. Gérard Mortier, fraîchement désigné Directeur de l’Opéra de Paris, en avait fait l’un des chefs de son pôle de chefs d'orchestre (avec Esa Pekka Salonen, Valery Gergiev, Sylvain Cambreling, Marc Minkowski, Kent Nagano et Vladirmir Jurowski) et on se souvient d’une fabuleuse Elektra en 2005. Mais Christoph von Dohnányi à Paris, ce furent les légendaires productions lyriques avec le Philharmonia Orchestra au Châtelet des années Lissner quant l'ambition était alors des plus élevées : Strauss avec une Femme sans ombre de légende et une Arabella magistrale et une Schweigsame Frau de haut vol mais aussi Moses und Aron de Schoenberg, Oedipus Rex de Stravinsky et même Hansel et Gretel d’Humperdiinck.

Christoph von Dohnányi, c’est aussi un chef soutien des modernités de rupture. La création contemporaine était essentielle pour lui : il a donné des premières d'opéras dont : Der Junge Lord et Die Bassariden de Hans Werner Henze ou de Baal de Friedrich Cerha. Du côté symphonique, il a dirigé de très nombreuses créations d’Harrison Birtwistle, Elliott Carter, Franco Donatoni, Philip Glass, Matthias Pintscher, Magnus Lindberg, Christopher Rouse ou Manfred Trojahn...On notera la variété des styles et des générations. Pour Christoph von Dohnányi, la modernité est un continuum sur lequel il faut s’appuyer : le chef était un immense interprète de l’école de Vienne et ses gravures des opéras de Berg ou des pièces de Webern sont des piliers de l’histoire du disque. Mais il faut compter avec ses enregistrements des modernistes américains, comme Carl Ruggles ou Charles Ives, tout comme ses gravures de Bartók, Stravinsky ou même Ravel. Chaque programe de concert était un récit au fil du temps s'accompagnant des modernités : ainsi pour son premier concert avec l'Orchestre de Paris (1980), il commençait avec la Symphonie n°8 de Schubert pour se terminer avec Erwartung de Schoenberg ou sa fidélité à Ligeti qui pouvait être le pivot central d'un programme entre une symphonie de Haydn et une autre de Brahms ou entre un prélude de Wagner et une partition de Schumann.

Avec Christoph von Dohnányi, c’est le compositeur avant tout : sa direction est toujours fidèle aux indications et attentive aux équilibres. À ce titre, on écoutera sa magistrale intégrale des symphonies de Brahms avec le Cleveland Orchestra pour Warner (qui sera prochainement rééditée par Warner en digital), un Brahms orchestral et tiré au cordeau qui a rarement autant montré la modernité du compositeur. Christoph von Dohnányi ne cherche jamais à faire l’original ou l’original, mais sa démarche humble derrière la musique nous offre tant de magistrales gravures des symphonies de Mendelssohn ou Schumann, ciselées comme des bijoux ou des ballets de Stravinsky, des pages orchestrales de Bartók, ou des opéras de Berg, marqués par une acuité stylistique complète.

Par chance, le chef laisse une très importante discographie, principalement pour Decca, mais aussi pour les labels Telarc (intégrale des symphonies de Beethoven) ou Warner ( Ravel, Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans l’orchestration de Ravel, symphonies de Brahms) et aussi pour le label du Philharmonia Orchestra (Beethoven, Brahms et Strauss).

En conclusion, nous proposons cette citation du maestro comme conseil aux jeunes chefs “ De nombreux jeunes chefs d'orchestre viennent me demander des conseils. C'est difficile, vous savez. Tout d'abord, un véritable talent n'a pas tant besoin de conseils. Il a d'abord besoin du talent de copier. Copier n'est pas vraiment considéré comme quelque chose d'important dans l'art, mais au début, il est très important d'être capable de copier. Donc, si vous avez un très grand chef d'orchestre, quelqu'un que vous admirez vraiment, vous devriez d'abord essayer de vous rapprocher de ce qu'il fait et apprendre comment il s'y prend. Une fois que vous avez franchi cette étape, c'est comme la peinture. La plupart des grands peintres."

Pendant longtemps, Christoph von Dohnányi restera un modèle de rigueur et une source d'inspiration.

Crédits photographiques : Orchestre de Paris

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.