Josquin profane pour voix et instruments : une nouveauté et une réédition

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Tant vous aime. Josquin Desprez (c1450-1521) et alii : Si je perdoys mon amy ; Vivrai je toujours en telle paine ; Qui belles amours ; A l’eure que je vous p.x. ; Ricercar ottava ; Petite Camusette ; Mein Hercz in hoben Frewden ist ; Tant vous aime ; Belle pour l’amour de vous ; An avois ; Que vous Madame ; Agnus Dei ; El Grillo ; In Te, Domine, speravi ; Scaramella fa la galla ; Scaramella va alla guerra ; Basse dance Cueur angoisseux ; Ma bouche rit ; Bergerette savoysienne ; A l’ombre d’ung buissonnet ; Une jeune fillette. Doulce Mémoire, Denis Raisin Dadre. Clara Coutouly, soprano. Paulin Bündgen, contre-ténor. Hugues Primard, ténor. Matthieu Le Levreur, baryton. Guillaume Olry, basse. Pascale Boquet, luth. Bérengère Sardin, harpe. Elsa Frank, Johanne Maitre, Denis Raisin Dadre, Jérémie Papasergio, chalemie, bombarde, flûte à bec. Livret en anglais, français, allemand ; paroles en langue originale traduite en anglais et partiellement en français contemporain. Novembre 2021. TT 64’02. Ricercar RIC 436

Les fantaisies de Josquin. Josquin Desprez (c1450-1521) et alii : Ile fantazies de Joskin ; La plus de plus ; De tous bien plaine ; Ach hülff mich leid ; La spagna ; Fortuna desperata ; Une musque de Biscaye ; Je sey bien dire ; La bernardina ; A l’eure que je vous p.x. ; Helas madame ; Sy je perdoys mon amy ; L’homme armé ; Cela sans plus ; A Dieu mes amours ; Sei gelobt, du Baum… Ensemble Leones. Raitis Grigalis, baryton. Baptiste Romain, violon Renaissance, vielle. Elizabeth Rumsey, viola d’arco, viole Renaissance. Uri Smilansky, viola d’arco. Kirsty Whatley, harpe. Gawain Glenton, cornetto. Noëlle-Anne Darbellay, violon. Martin Wyss, contrebasse. Marc Lewon, luths, guiterne, viola d’arco, direction. Livret en allemand, anglais ; paroles en langue originale non traduite. Février 2010, réédition 2022. TT 71’02. Christophorus CHE 0227-2

Forte des avancées de la recherche musicologique, l’experte notice de David Fallows situe les chansons françaises de Josquin à deux périodes. D’abord dans la décennie 1470, à la Cour de René d’Anjou, puis après 1504, lors de sa retraite dorée à Condé-sur-l’Escaut. Ce CD nous en livre un échantillon, ainsi que des mélodies italiennes, dont Scaramella qui date probablement de la période romaine (1489-1494), El grillo et In Te, Domine, speravi étant attribuées sans certitude à Desprez. Quelques doutes de paternité entourent aussi les chansons tardives éditées à Anvers et Paris par Tilman Susato et Pierre Attaignant, que Graindelavoix a récemment illustrées dans un disque époustouflant.

Denis Raisin Dadre a confronté ces polyphonies au « timbre » populaire qui les inspire ou à leur trace dans des recueils alternatifs, dont le « Manuscrit de Bayeux », en quête de couplets manquants ou des airs originaux. Ce qui nous vaut par exemple d’entendre une version complétée de Comment peult avoir joye, abondée par Une jeune fillette. Certaines sont mises en regard avec des productions de tiers, ainsi S’elle m’amera / Petite Camusette (Johannes Ockeghem) ou Scaramella fa la galla (Loyset Compère), permettant de mieux cerner la propre inspiration de Josquin. Quelques pages contemporaines purement instrumentales, d’un rapport parfois lointain ou inévident, divertissent le programme au gré d’arrangements : Ricercar de Vincenzo Capirola (1474-ap1548), Mein Hercz in hoben Frewden ist tiré du Lochamer Liederbuch, An avois de l’organiste Conrad Paumann (c1470-1473), une Basse Dance et une Bergerette sorties des presses d’Attaingnant ou Petrucci, et même un Agnus Dei d’Heinrich Isaac (1450-1517) quasiment méconnaissable sous cette guise pour luth et harpe.

On salue le travail de recherche et de contextualisation. Le réseau s’incarne en un récital subtilement exécuté, où les chanteurs se fondent dans le brochage des cordes pincées, le velours des flûtes (qui contribuent aussi à l’écheveau du contrepoint), ou résonnent sur la gouaille des anches. Malgré quelques instants gaillards, c’est la délicatesse qui s’impose et nous invite à porter un regard ému sur ces pièces vocales : un profane trousseau en marge des messes, où le génie de Josquin révèle dans un cadre domestique le raffinement de ses nuances. Conclu par une caressante Jeune Fillette, qui entrouvre des songes interminables. Une louable perspective, un fascinant hommage pour le cinq-centenaire du Maître hennuyer.

Le tout premier CD de l’ensemble Leones, ici réédité, se consacrait à une part négligée de l’œuvre de Josquin. Sa musique instrumentale profane, ici confiée à deux ensembles homogènes : cordes frottées et pincées (dont la trouble résonance de la harpe « gothique » avec harpions), alliées au cornetto. Le programme se structure en quatorze épisodes, assemblant des pièces connexes de la main de Josquin et de contemporains connus ou anonymes. Par exemple De tous bien plaine dans sa forme vocale monodique, puis élaborée à trois ou quatre parties par Josquin, ou à quatre parties par Planquard (fl. c. 1490). Dans l’ordre des plages, la forme polyphonique précède parfois la mouture monodique (Une musque de Biscaye).

Paraphrasant la métaphore biblique du vin nouveau et des vieilles outres, la notice de Marc Lewon relate la découverte d’une bûche dans un vignoble suisse en 1962, qui daterait de plus de deux millénaires selon la dendrochronologie. Ce morceau de bois servit à la confection d’un violon et d’une guiterne. Laquelle inspira une composition à Arvo Pärt en quatuor avec baryton, violon, contrebasse (Sei gelobt, du Baum, « Loué sois-tu, arbre », sur un texte du poète estonien Viivi Luik), conseillé par Marc Lewon qui en assurait ici le premier enregistrement. Non sur cet admirable instrument mais un autre fait par George Stevens en 2004. Étonnant codicille à ce récital, qui ouvre des passerelles entre les mondes du lointain passé et d’aujourd’hui.

On pourra apprécier l’intelligence de la conception, en observant ces accompagnements conçus par l’équipe autour d’un vestige de chant monodique (Une mousse de Biscaye, Sy je perdoys mon amy, A Dieu mes amours). Et saluer la pertinence organologique de la réalisation (usage de cordes en boyau) autant que la dextérité avisée de l’exécution (Marc Lewon au luth à plectre). Tout aussi réussi, l’album suivant se penchait sur la musique instrumentale associée à Alexander Agricola (c1445-1506), plaçant la destinée de l’ensemble Leones sous les meilleurs auspices. Heureuse idée que de remettre son remarquable disque de baptême sous le feu des projecteurs.

Ricercar : Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophorus : Son : 9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 



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