Karel Ančerl et ses enregistrements Philips et DGG 

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Karel Ančerl Edition. Complete Recordings on Philips and Deutsche Grammophon. Oeuvres d’Antonín Dvořák (1841-1904), Bedřich Smetana (1824-1884), Dmitri Shostakovich (1906-1975), Igor Stravinsky (1882-1953), Piotr Ilyich Tchaikovsky (1840-1893). Solistes.  Wiener symphoniker, Orchestre philharmonique tchèque,  Berliner Philharmoniker direction : Karel Ančerl. 1956-1962. Livret en anglais. 9 CD Decca Eloquence Australia. 484 3778. 

Dans le cadre des 50 ans du décès du grand chef d’orchestre Karel Ančerl, Decca Eloquence Australia a eu la bonne idée de proposer un sympathique petit coffret reprenant le leg du musicien pour les labels Philips et Deutsche Grammophon. 

En effet, cet héritage est, à l’une ou l’autre exception près, relativement peu connu en comparaison des enregistrements réalisés pour le label tchèque Supraphon lors de son mandat avec la prestigieuse philharmonie tchèque (1950-1968). C’est justement le succès de ce tandem, porté par le LP naissant, qui établit progressivement la réputation chef à l’international. En 1955, la phalange pragoise et son chef sont en tournée en Allemagne avec une escale à Munich. C’est ainsi que fut gravée l’interprétation magistrale de la Symphonie n°10 de Chostakovitch dans la célèbre Herkulessaal de la Résidence. En 1955, cette Symphonie n°10 est une partition contemporaine créée seulement deux ans plus tôt à Leningrad et Karel Ančerl a établi sa haute réputation par la défense des œuvres de son temps. Près de 70 ans après son enregistrement, cette gravure reste l’un des piliers de la discographie par la force de la direction capable de construire un arc dramatique tétanisant mais d’aérer les lignes de forces de la partition. Inéluctable et implacable, cette version bénéficie de pupitres d’un orchestre phénoménal dans ses ensembles et ses individualités. Du très grand art de la direction porté par une phalange d’exception. 

L’année 1959 est une année phare dans la carrière du chef avec en plat de résistance une tournée de près de quatre mois qui mène Karel Ančerl et ses musiciens à travers le monde d’Europe en Australie en passant par la Chine et la Nouvelle Zélande. Dans le même temps, les invitations se multiplient et le chef peut se produire en Europe et aux Etats-Unis au pupitre de grands orchestres. Suite au succès de la Symphonie n°10 de Chostakovitch, DGG décide de réaliser un nouvel enregistrement. Cette fois, cap à Prague sur la scène du Rudolfinum pour le Requiem d’Antonín Dvořák. Réalisée en coopération avec Supraphon, cette gravure est la première de cette partition ! Si l’orchestre et les choeurs sont tchèques, la distribution est germanophone : Maria Stader, soprano ; Sieglinde Wagner, contralto ; Ernst Haefliger, ténor et Kim Borg, basse (bien que Finlandais, ce chanteur était un éminent wagnérien). Le résultat est encore une fois fabuleux par la ferveur de la direction qui porte cette partition aux sommets. C’est encore une fois, un miracle musical et une des plus grandes lectures de l'oeuvre. 

En avril 1962, Karel Ančerl fait ses débuts avec les Berliner Philharmoniker. Il est aussitôt invité pour des concerts planifiés en décembre avec le Concerto pour violon en ré de Stravinsky avec en soliste Wolfgang Schneiderhan. Une session d’enregistrement pour DGG est programmée dans la foulée. Bien oubliée cette interprétation est pourtant magistrale ! Le tandem chef et soliste fonctionne à merveille, tirant la partition dans un juste équilibre des registres sérieux et léger. L’influence baroque de l'œuvre n’est pas oubliée mais le tout est ciselé avec acuité et précision !  

Les 5 autres disques du coffret sont consacrés à des enregistrements réalisés pour le label Fontana, filiale de Philips, avec les Wiener Symphoniker.  En effet, la phalange autrichienne collabore alors étroitement avec le label néerlandais alors que son chef principal n’est rien moins qu’Herbert von Karajan dans le cadre de son mandat de direction auprès de la Société des Amis de la musique. Philips cherche alors à étoffer son catalogue : le jeune chef Wolfgang Sawallisch enregistre la musique allemande alors que Karel Ančerl se voit offrir du répertoire tchèque et russe. Malgré ses qualités et sa solide homogénéité, les Wiener symphoniker n’ont pas la beauté des timbres des pupitres de la Philharmonie tchèques. Ainsi malgré la fougue insufflée par le chef, la Symphonie n°9 du “Nouveau monde” de Dvořák et la Moldau de Smetana se découvrent raides et plutôt plates.  On reste dans cette optique avec une sélection de Danses Slaves certes bien mises, mais avasre de couleurs et de fantaisie. Trois albums sont consacrés à Tchaïkovski, répertoire que le chef avait fort peu fréquenté au disque avec ses Pragois. Les suites des ballets Casse-Noisette, Lac des Cygnes et Belle au bois dormant sont des merveilles portées par une direction inspirée, colorée, contrastée et narrative à laquelle répond un orchestre attentif et mélodieux. On peine à imaginer qu’il s’agit des mêmes pupitres de vents que dans la Symphonie du Nouveau monde précédemment commentée. La Symphonie n°4, malgré un orchestre un peu moins concerné, est une grande lecture qui claque avec une énergie et une nervosité des tous les instants. L’immense perfection stylistique du chef lui permet d’éviter le pompier et le clinquant dans l’Ouverture 1812, la Marche Slave et l’ouverture fantaisie Roméo et Juliette. Le geste est dégraissé et fiévreux, laissant parler la musicalité, ce qui dénote dans l’Ouverture 1812.   

Pour être complets avec cette chronique, notons la présence de deux gravures excellentes mais sans notre chef. Afin de respecter les LP d’origine, Eloquence Australia a repris les compléments initiaux : les Danses slaves de Dvořák sont complétées par 7 Danses hongroises de Brahms avec les Wiener symphoniker sous la baguette du très oublié Tibor Paul et le Concerto pour violon de Stravinsky est complété par la Sonate pour violon et piano n°2 de Prokofiev avec Wolfgang Schneiderhan et violon et Carl Seemann au piano. 

Dès lors, ce coffret est peu inégal, mais il mérite une attention pour les quelques interprétations magistrales qu’il contient. 

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8/10

Pierre-Jean Tribot

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