Kurt Masur, l’intégrale des enregistrements pour Emi & Teldec

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KURT MASUR, The Complete Warner Classics Edition, His Teldec & Emi Recordings. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie no 5 ; Concertos pour piano no 1 & 4 ; Concerto pour violon ; Triple Concerto Alban Berg (1885-1935) : pièces symphoniques de l’opéra Lulu. Johannes Brahms (1833-1897) : les quatre Symphonies, Ein Deutsches Requiem, Concerto pour piano no 2, Concerto pour violonBenjamin Britten (1913-1976) : War Requiem. Max Bruch (1838-1920) : Concerto pour violon no1 en sol mineur. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonies no 4 & 7. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies no 7 & 13. Claude Debussy (1862-1918) : La Mer ; Prélude à l’Après-Midi d’un FauneAntonín Dvořák (1841-1904) : Symphonies no 8 & 9 ; Concerto pour violonCésar Franck (1822-1890) : Symphonie en ré mineur ; Les Éolides. George Gershwin (1898-1937) : I got Rythm ; Rhapsody in Blue. Charles Ives (187-1954). Leoš Janáček (1854-1928) : Sinfonietta. Zoltán Kodály (1882-1967) : Suite d’Hary Janos. Franz Liszt (1811-1886) : Dante Symphonie ; Faust Symphonie ; Mephisto-Waltz 1 & 2 ; Concertos pour piano no 1 & 2 ; Totentanz ; Les Préludes ; Mazeppa ; PrometheusGustav Mahler (1860-1911) : Symphonies no 1 & 9 ; Lieder eines fahrenden Gesellen. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Un Songe d’une Nuit d’été ; Elias, oratorio op. 70 ; Concertos pour piano op. 25 & 40 ; Concerto pour violon en mi mineur ; les cinq Symphonies. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano no 21 & 23. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Tableaux d’une Exposition (orch. Gortchakov). Serge Prokofiev (1891-1953) : Alexandre Nevsky ; les cinq Concertos pour piano ; Suite Scythe ; Roméo et Juliette (extraits des suites) ; Symphonies no 1 & 5. Maurice Ravel (1875-1937) : Bolero ; La Valse. Max Reger (1873-1916) : Variations et Fugue sur un thème de Mozart. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Schéhérazade ; Capriccio espagnolAlfred Schnittke (1934-1994) : Concerto pour violoncelle. Franz Schubert (1797-1828) : Wanderer Fantasie ; Symphonies no 3 & 8. Robert Schumann (1810-1856) : Concerto pour violoncelle ; Concerto pour piano ; les quatre Symphonies. Jean Sibelius (1865-1957) : Finlandia ; Suite Karélia ; Le Cygne de Tuonela ; Concerto pour violon. Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan ; Mort et Transfiguration ; Quatre derniers Lieder. Piotr I.Tchaïkovski (1840-1893) : les six Symphonies ; Symphonie « Manfred » ; Francesca da Rimini ; Roméo et Juliette ; les trois Concertos pour pianoCarl Maria von Weber (1786-1826) : Concertos pour clarinette no 1 & 2. Kurt Weill (1900-1950) : Les Sept Péchés Capitaux. Kurt Masur, Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Orchestre philharmonique d’Israël, Orchestre philharmonique de Londres, Orchestre philharmonique de New York. Barbara Bonney, Helen Donath, Kerstin Klein, Silvia McNair, Carol Vaness, Deborah Voigt, Edith Wiens, sopranos. Christiane Oertel, Carolyn Watkinson, mezzo-sopranos. Jard van Nes, contralto. Donald George, Jerry Hadley, Peter Schreier, ténors. Håkan Hagegård, Thomas Hampson, barytons. Alastair Miles, basse. Boris Berezovsky, Michel Béroff, Hélène Grimaud, Helen Huang, Cyprien Katsaris, Elisabeth Leonskaja, Cécile Ousset, Fazil Say, Christian Zacharias, piano. Sarah Chang, Ulf Hoelscher, Yehudi Menuhin, Maxim Vengerov, Thomas Zehetmair, violon. Natalia Gutman, Heinrich Schiff, violoncelle. Sharon Kam, clarinette. Janvier 1974 à juin 2009. Livret en anglais, français et allemand. Warner Classics 0190296611551

Ce coffret agencé par ordre chronologique documente vingt-cinq ans de la discographie de Kurt Masur : ses sessions pour Emi et Teldec menées entre 1974 et 1999. Auxquelles s’ajoutent les concertos de Bruch et Brahms avec Sarah Chang et la Philharmonie de Dresde (2009). Deux orchestres sont à l’honneur : celui du Gewandhaus de Leipzig (dont il fut le Kapellmeister entre 1970 et 1996) et le New York Philharmonic (musical director entre 1991-2002, à la suite de Zubin Mehta). Sont donc exclus les enregistrements réalisés pour le label est-allemand Eterna, ceux parus sous étiquette Eurodisc, RCA, Deutsche Grammophon ou Philips, et qui engrangèrent quelques jalons de son répertoire de prédilection avec le Gewandhausorchester : le romantisme germanique de Beethoven jusqu’à Bruch et Bruckner. Thésaurisant des intégrales symphoniques de Mendelssohn, Schumann et Brahms, antérieures aux secondes moutures ici reproduites. Si l’on excepte de rares étapes de jeunesse (un admirable concerto de Tchaikovsky en avril 1959 avec Tatiana Nikolaïeva), la reconnaissance de Masur auprès des discophiles prit effectivement son essor dans les années 1970, avec une complète série des juvéniles Symphonies pour cordes de Mendelssohn, et les neuf du Maître de Bonn.

De cette époque date ce qu’on peut considérer comme la part plus mémorable du présent coffret : les concertos pour piano de Prokofiev avec Michel Béroff, ceux de Liszt en marge d’une intégrale des poèmes symphoniques qui vaut toujours par son profil dégraissé et cursif (celle concomitante de Bernard Haitink chez Philips à Londres s’avérait plus charnue), tout autant que la Faust et la Dante abordée sous l’angle post-berliozien. Dans la même veine décantée, on saluera le cycle tchaïkovskien (incluant un Manfred très réussi), un cycle Mendelssohn plus esthétisant que le premier –on goûtera plutôt les concertos avec Cyprien Katsaris et le Songe d’une Nuit d’été. De Beethoven, Masur avait déjà gravé le Triple-concerto avec la Philharmonie tchèque pour Supraphon en janvier 1973 ; sa relecture de 1984 n’apporte rien en matière de classicisme bon teint. On oubliera toutefois sans regret le Concerto opus 61 avec un Yehudi Menuhin qui nous y livrait un témoignage tardif (son ultime regard sur une œuvre qu’il avait jadis abordée avec Wilhelm Furtwängler, Constantin Silvestri, Otto Klemperer…) et trop intuitif. Un Alexandre Nevsky lumineux et vif, une Suite Scythe scintillante attestent combien Masur sut valoriser la noble veinure de ses pupitres saxons, en allégeant la trame quitte à manquer de force.

L’orée 1990-1991 connut une brève fournée avec le London Philharmonic : Tableaux d’une Exposition (version Gortchakov), concerto en si bémol mineur de Tchaikovsky et celui de Schumann avec Cécile Ousset. Du même Rhénan, voici le concerto pour violoncelle par Natalia Gutman qui joue aussi celui d’Alfred Schnittke, et les quatre symphonies dans des lectures philologiques, intéressantes pour leur option textuelle. Pour la Quatrième, la notice de Siegmar Keil cernait quelques spécificités de la partition primitive : « une structure syntaxique au total plus transparente, avec des lignes mélodiques en partie plus chantantes, une disposition formelle plus ramassée, une instrumentation plus subtile dans les détails ».

Le rôle pacificateur joué par Masur dans le contexte de la chute du Mur de Berlin renforça sa popularité et sa stature internationale. « Il devint, en une nuit, un prétendant aux positions des plus enviables, et prit la direction de l’Orchestre Philharmonique de New York pour le salaire royal de 700 000 dollars, rêve que jamais il n’avait caressé lors de ses songes les plus fous, au paradis perdu de l’égalitarisme » observa Norman Lebrecht dans Maestro (édition française JC Lattès 1996, page 119). Ce versant américain permit à Teldec (racheté par Warner à la fin des années 1980 et qui continua à produire sous cette bannière pendant une décennie, avant son extinction) de compléter son catalogue avec une baguette et une phalange de premier plan. La plupart des enregistrements new-yorkais furent publiés par Teldec, à de rares exceptions comme le concerto de Brahms avec Anne-Sophie Mutter pour Deutsche Grammophon.

Le CD 32 reproduit la Symphonie no 7 de Bruckner mais n’inclut pas les Old American Songs de Copland, captés le même 14 septembre 1991 lors de la session inaugurale à New York. Au rayon mahlérien, on admirera une « Titan » chaleureuse et efficace, couplée avec des Lieder eines fahrenden Gesellen galbés à pleine voix par Håkan Hagegård, ainsi qu’une symphonie no 9 profondément sentie, un des sommets de ce coffret. Ce romantisme crépusculaire luit aussi dans l’album straussien : Don Juan, Tod und Verklärung, Vier letzte Lieder avec Deborah Voigt. En revanche, comment recommander des Brahms et Dvořák  aussi quelconques ? Était-ce nécessaire d’emmagasiner les fades concertos 2 et 3 de Tchaikovsky avec Elisabeth Leonskaja (qui d’ailleurs avait déjà gravé le second à Leipzig, cf CD 18) ? Au partenariat insipide avec la jeune Helen Huang (Mozart, concertos no 21 & 23, Beethoven no 1) qui dans de tels chefs d’œuvre ne tire pas son épingle du jeu, on préférera le no 4 de Beethoven avec Hélène Grimaud, et la splendide série violonistique avec Maxim Vengerov (Bruch, Mendelsshon, Dvořák  partagés entre Leipzig et New York).

Aucune symphonie de Haydn ni Mozart, mais la n°3 et « L’Inachevée » de Schubert figurent parmi les bonnes surprises. On dégustera aussi un original programme de variations (Brahms, Reger, Ives), puis un récréatif assemblage de valses de l’auteur du Lac des Cygnes. Musique légère et colorée encore, avec le CD Gershwin en compagnie de Fazil Say. Parenthèse, qu’on n’imagine pas que Masur découvrit ce compositeur en traversant l’Atlantique, puisqu’il l’avait déjà enregistré en 1974-1975 à Leipzig (Porgy and Bess, Ouverture cubaine et Un Américain à Paris, Rhapsody in Blue et le Concerto en fa avec Siegfried Stöckigt au clavier). Peu de répertoire français (la Symphonie de Franck, La Mer, La Valse, Bolero), ou russe (une Schéhérazade bien moins passionnante que celle de Yuri Temirkanov avec le même orchestre).

Pas d’opéra dans cette grosse boîte, alors que Masur en côtoya d’abondance. « Le bagage de base le plus substantiel d’un chef est celui qui s’acquiert dans un théâtre lyrique. J’ai ainsi dirigé dans mes jeunes années, plus de soixante-dix opéras d’esthétique très diverses » lit-on dans l’interview citée dans le livret. Mais un peu de musique vocale et sacrée, qui peut engendrer la déception. On regrettera l’allemand peu idiomatique d’Angelina Réaux dans Die sieben Todsünden de Kurt Weill. Masur s’était illustré dans un Deutsches Requiem en hommage au drame qui frappa le WTC le 11 septembre 2001, mais ici la prestation au Avery Fisher Hall semble vide de sens et d’expression. On remarque un honnête War Requiem de février 1997, second de ses trois enregistrements (après Tel Aviv en avril 1996 et avant celui du Royal Festival Hall en mai 2005). Dans le registre mémoriel, Masur était pourtant capable d’une réelle intensité, comme dans Die Asche von Birkenau de Günter Kochan enregistré à Berlin pour Eterna.

On déplore d’ailleurs que le répertoire contemporain soit absent de ce coffret, alors qu’à New York Masur déclencha plus de quarante commandes, et qu’il s’était toujours montré proche de compositeurs de son temps, comme Chostakovitch. Selon l’aveu de Masur lui-même, sa symphonie n°13 donnée en concert en 1993 (CD 43) reste une de ses interprétations les plus marquantes. Il avait reçu l’approbation du compositeur pour en diriger une traduction allemande en RDA, bien qu’à New York elle fût chantée en russe. Au demeurant, malgré la récitation de l’auteur des poèmes en exergue et en conclusion du disque pour gage d’authenticité, l’événement ne convainc pas totalement, desservi par le timbre trop clair de Sergueï Leferkus, et par un chœur superficiel : une lecture plutôt moussorgskienne et bien moins émouvante que la référence signée de Bernard Haitink à Amsterdam, notamment dans le bouleversant Babi Yar liminaire, ici vertement expédié et réduit à une saillie contestataire. La Leningrad incandescente s’avère dans l’ensemble plus satisfaisante.

Intitulé « un combattant de la musique », le livret héroïse une carrière où l’envergure humaine et artistiques se rejoignent. Cependant, pour le mélomane qui connait déjà nombre des œuvres abordées dans des exécutions autrement saisissantes, le répertoire plutôt convenu et des interprétations sans grande personnalité se heurtent à une concurrence discographique qui ne permet pas de leur conférer un mérite distinctif. On peut légitimement estimer que la partie la plus intéressante de ce legs de bon aloi se situe en amont du départ pour les États-Unis, ce qui relativise l’attrait de ce coffret, surtout désirable pour la première moitié de son contenu.

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

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