La Capella de Ministrers célèbre le millième anniversaire du Collier de la Colombe

par

El Collar de la Paloma. Capella de Ministrers. Iman Kandoussi, chant. Carles Magraner, viole, rebec. Robert Cases, harpe, rubâb, laúd. Aziz Samsaoui, kanoun, saz, oud. Kaveh Sarvarian, nay, tombak. Miguel Angel Orero, percussion. Livret en espagnol, valencien, anglais ; paroles des chants en langue originale et traduction trilingue. Janvier 2022. TT 65’29. CdM 2253

Après son album Claroscuro qui faisait écho au quatre-centième anniversaire de la parution de la seconde partie du Don Quichotte de Miguel de Cervantes, Carles Magraner s’engage ici dans une autre commémoration. Celle d’un recueil millénaire : Tawq al-hamāma (Le Collier de la colombe) rédigé en 1022-1023 par le polymathe Ibn Hazm (994-1064). Cette fondamentale œuvre en prose réfléchit « sur l'amour et les amants » et constitue un document majeur sur les mœurs dans la sphère d’Al-Andalus, et particulièrement de la civilisation cordouane au crépuscule du califat umayyade. Dans ce diwan, l’auteur expose son intelligence idéaliste, entre influence platonique (l’amour comme « un état de complaisance spirituelle, de fusion des âmes ») et préfiguration de l’éthique de la courtoisie troubadouresque, -une postérité occitane qui a pu se fertiliser au contact de la lyrique de l’Espagne islamique.

La dimension spirituelle de cet érotisme sublimé détermine l’acuité du langage poétique et s’ancre toutefois dans une fine observation des relations entre sexes et de la psychologie de la dame, dont Manuela Cortes (auteure de la notice) relie la sensibilité à la jeunesse d’Ibn Hazm, élevé dans un sérail matriarcal (cercle familial et esclaves) et précoce témoin « d’intrigues de harem ». Les vingt poèmes au programme du disque se déploient en cinq parties préfacées dans le livret : Les fondements de l’amour inaltérable ; Tomber amoureux en rêve et le pouvoir du regard ; Les accidents de l’amour, ses qualités louables et blâmables ; L’union amoureuse, fidélité et trahison ; Conformité, jalousie, oubli et mort. « Mon sang est encre, et mon cœur est l’encrier » écrivit celui qui cultiva une chaste conception de la femme, timide comme une gazelle du désert et inaccessible comme la lune.

Le versant musical s’appuie sur des improvisations modales, et sur des arrangements issus du répertoire instrumental et des chansons classiques ou populaires de la tradition arabo-andalouse. La superbe céramique de Téhéran reproduite en couverture donne la mesure du voyage qui s’annonce, intensément parfumé d’effluves mauresques, et capté dans le cadre légitime et inspirant du Palacio de Orive de Córdoba. Cordes pincées et frottées, nay, percussion aux mains d’une experte équipe, la voix pulpeuse et nacrée d’Iman Kandoussi garantissent l’émotion et l’authenticité de l’écoute. L’hommage de la Capella de Ministrers au Tawq al-hamāma tourne aussi en concert, par exemple le 25 juin dernier à València, dans le contexte de la célébration des fiertés LGBTIQ+ : preuve de la transversalité et de la portée universaliste de ce chef d’œuvre de la littérature arabe, au défi de la tolérance moderne quels que soient les cœurs épris ?

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire & Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 



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