« La Cenerentola » à Luxembourg
C’est une Cenerentola « gothique », inspirée superlativement par les aventures de la Famille Addams et les films de Tim Burton que Fabrice Murgia a présenté au Grand Théâtre. Si les apparences sont joyeusement bousculées, Rossini est à la fête grâce à un plateau vocal bienvenu.
« La Cenerentola », c’est cette Cendrillon que nous connaissons tous, la pauvre petite souillon méprisée maltraitée par ses demi-sœurs mais qui, grâce à l’intervention de sa marraine la Fée, retrouvera chaussure à son pied et Prince charmant. Ça, c’est la version traditionnelle de Charles Perrault. Chez Rossini, la marâtre a laissé la place à un méchant beau-père spoliateur, et surtout la magie a disparu : plus de citrouille, plus de carrosse, plus de chaussure perdue, mais l’intervention efficace du philosophe précepteur du Prince, deux ex-machina de tout ce qui va se réaliser.
La partition de Rossini, plus que rossinienne, est un bonheur. Et pourtant composée en trois semaines seulement avec quelques recyclages bienvenus de pages existantes. Elle est pétillante, elle est séduisante, elle est régulièrement au second degré, elle est vocalement acrobatique dans ses déferlements, elle est époustouflante dans ses ensembles.
Dans cette production de l’Opéra de Nancy, elle est servie au mieux par un orchestre en belle forme dirigé comme il convient par Giulio Cilona, de plus savoureusement espiègle accompagnateur des récitatifs. Vocalement, c’est un bonheur : la distribution séduit et convainc, dans les péripéties du chant comme dans le jeu scénique, que ce soit Beth Taylor, une Cenerentola toute d’énergie ; Dave Monaco-Don Ramiro-Prince au timbre si séduisant ; Alessio Arduini-Dandini, serviteur se prêtant au jeu d’un subterfuge ; Gyula Nagy-Don Magnifico, un père beauf aussi pathétique que ridicule ; Sam Carl-Alidoro à la voix de bronze imposante ; Héloïse Poulet-Clorinda et Alix Le Saux-Thisbé, dont le chant dit la bêtise des deux soeurs, et la comédienne Pauline Huriet qui, passant l’aspirateur, apparaît un instant dans les atours de la Cendrillon stéréotype.
Mais la surprise de cette soirée vient de sa mise en scène. On est absolument aux antipodes des éditions illustrées du conte, des films pastel et sucrés de Walt Disney. C’est dans l’univers « gothique » sombre et sarcastique de la Famille Addams et des films de Tim Burton que Fabrice Murgia nous immerge. Dans une scénographie de Vincent Lemaire, Clara Pelluffo Valentini s’est manifestement beaucoup amusée à concevoir des costumes plus que typiques de ces univers-là : Cenerentola-punk se livrant à des expériences étranges ; Don Ramiro en survêt ; une des deux sœurs en robe moulante plastique rose. Vincent Lemaire a pu saturer sa scénographie de squelettes, bocaux aux monstres, poulpes en tous genres. Il y a aussi le chœur) de zombies sanguinolents (celui de l’Opéra de Lorraine, excellent.
On est dans le registre de la farce, c’est surligné et saturé. Personnellement, même si ces références culturelles sont aux antipodes des miennes, et que je ne peux donc peut-être pas les savourer à toute leur juste mesure, je dois reconnaître leur cohérence et la manière emportée dont elles décapent un récit trop souvent ronronnant dans son caractère stéréotypé. Habituelles chez Fabrice Murgia, ses vidéos en direct, qui donnent un contrechamp à ce que nous découvrons, qui s’attardent sur les réactions d’un personnage absent du plateau mais épiant ce qui s’y joue. Les images projetées du chef d’orchestre et de musiciens confirment la volonté d’installer un second degré : tout ceci est un jeu. Et surtout, la mise en scène a le bon goût de se mettre sur pause aux moments des airs les plus représentatifs et des ensembles.
Finalement, c’est éminemment rossinien.
Luxembourg - Grand Théâtre de Luxembourg – 21 mai 2025
Crédits photographiques : Simon Gosselin