La flûte à Paris de 1750 à 1800 et l’école de Michel Blavet

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Rien de Reede : Flûtistes parisiens et étrangers. L’école de Blavet au cours de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Amsterdam, Linos Editions. ISBN/EAN : 978-90-9036960-0. Traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardiff. 2023, 144 pages. 

Âgé aujourd’hui de 81 ans, Rien De Reede a été, pendant plus de trois décennies, flûtiste au prestigieux Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et enseignant au Conservatoire de La Haye ; il a aussi participé à de nombreuses aventures de musique de chambre. Son instrument de prédilection a fait l’objet, par ses soins, de plusieurs publications aux Pays-Bas, en Suisse et en Autriche. Dans le présent ouvrage, il s’intéresse à l’école du flûtiste Michel Blavet, né à Besançon en 1700 et décédé à Paris en 1768, qui, monté dans la capitale lorsqu’il avait 23 ans, a fait ses débuts au Concert spirituel en 1726. Il sera ensuite au service d’un prince et d’un comte, et passera par la Cour de Frédéric II de Prusse qui tentera en vain de s’attacher ses services. De retour à Paris, il poursuivra sa carrière à la Musique royale et à l’Orchestre de l’Opéra à partir de 1740. Un Éloge de Monsieur Blavet, extrait d’un ouvrage de 1770, Le Nécrologe des hommes célèbres de France, ouvre le volume. On peut retenir ce qui suit de ce témoignage du temps, document reproduit dans sa graphie originale : On ne soupçonnait pas même la perfection dont cet instrument était susceptible, et dont il fut redevable à M. Blavet. Cet illustre Musicien sut en tirer tous les accords les plus agréables dans ses sonates et dans ses concertos, avec une exécution nette et rapide, exacte et brillante, dont personne encore n’avait donné l’idée.

Michel Blavet, qui fut, avec l’Allemand Johann Joachim Quantz (1697-1773), professeur de flûte de Frédéric II de Prusse, l’un des plus talentueux propagateurs de son instrument au XVIIIe siècle, fit école. Deux portraits de ses élèves sont proposés par Rien de Reede. Le premier, l’éditeur et compositeur Pierre-Evrard Constant Taillart (c. 1715-1782), avait un frère cadet qui devint lui aussi flûtiste et éditeur, mais de moindre notoriété. Taillart l’aîné, Parisien d’origine, succéda à Blavet au Concert spirituel au début de la décennie 1750 et y demeura en poste pendant plus d’une dizaine d’années. L’auteur rapporte que les chroniqueurs du temps considéraient qu’il était capable d’émouvoir son public par son expressivité, tout en le bluffant à force de virtuosité, donnant ainsi des lettres de noblesse à son instrument que d’aucuns voyaient plutôt comme destiné à de petites pièces descriptives. Taillart était aussi un pédagogue apprécié, dont on ne connaît aucun nom d’élèves, ceux-ci étant sans doute des Parisiens distingués et en vue. Il composa une série de treize recueils, dont des sonates qualifiées de plaisantes, mais moins inventives que le legs laissé par Blavet. Il s’adonna aussi à l’édition de compositeurs pour la flûte ; on y relève notamment les noms de Stamitz et Telemann.

Le second portrait d’un élève de Blavet est celui du Bordelais Félix Rault (1736-1806), dont le talent se révéla précocement. Ce musicien, charnière entre Blavet et Johann Georg Wunderlich (né à Bayreuth en 1775, mort à Paris en 1819), succéda à Taillart au Concert spirituel de 1765 à 1776 et fit notamment partie d’un orchestre mis sur pied par Gossec. L’auteur raconte les péripéties d’une existence quelque peu bousculée. Rault, qui était à la fois talentueux, orgueilleux et entêté, eut des problèmes avec la direction de l’Opéra, auquel il fut attaché de 1758 à 1782, et connut même la prison pendant quelques semaines. Les témoignages de la presse de l’époque font état de son talent extraordinaire. On lira avec un vif intérêt ce que Rien de Reede en rapporte, ainsi que les détails foisonnants sur les institutions, les concerts et les programmations d’alors. Reconnu comme professeur, Rault a compté parmi ses élèves François Devienne (qui lui dédiera un de ses concertos) et Wunderlich, déjà cité. Le catalogue de Rault, en tant que compositeur de musique de chambre et de concertos, montre cependant une originalité moins grande que celle de son maître Blavet.

Après ces portraits détaillés, on découvre un essai de dictionnaire biographique annoté des flûtistes français et étrangers dans la presse parisienne 1750-1800. Plus de 125 musiciens y sont répertoriés par ordre alphabétique, l’auteur ayant, pour accomplir ce relevé, consulté longuement des sources du temps, notamment des journaux et des almanachs historiques et chronologiques, dont la liste est précisée. Cette approche érudite et minutieuse est un outil précieux de références pour l’approche d’une vie musicale bouillonnante, les flûtistes se révélant capables de composer, d’être facteurs d’instruments ou de se servir du hautbois ou du basson. C’est dans cet inventaire que le lecteur découvrira plus de détails sur Michel Blavet et sur d’autres instrumentistes, comme Pierre Gabriel Buffardin, qui connut Bach et se lia d’amitié avec son fils Wilhelm Friedemann, François Devienne et son style brillant, Nicolas Duverger, qui fut sans doute de la création de la symphonie « Paris » de Mozart en 1778, les Garnier, oncle et neveu, tous deux affectés à l’Opéra de Paris, les Hotteterre, père (dit « le Romain », qui a laissé de belles œuvres pour la postérité) et fils, Antoine Hugot l’aîné, élève de Rault, qui fit partie d’un orchestre réputé pour son exécution des pages symphoniques de Haydn, la petite dizaine de membres de la famille Sallantin, dont plusieurs firent partie de l’orchestre de l’Opéra, Jacques de Vaucanson qui, au-delà de la flûte, fut un inventeur d’automates (le fameux canard qui mangeait, buvait et déféquait) ou Wunderlich, qui sera l’unique professeur de flûte du Conservatoire de 1803 à 1816. Cette énumération non limitative n’est que l’esquisse d’un panorama riche en découvertes.

Le présent ouvrage, assorti de notes détaillées et d’une bibliographie, ouvre de larges perspectives sur l’univers musical français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Nanti d’une belle iconographie, dont des reproductions en couleurs, et édité sur beau papier, il existe aussi en anglais et est disponible sur linosproductions@icloud.com. 

Jean Lacroix

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