La Neuvième symphonie de Krzysztof Meyer,  entre pessimisme et espoir pour l’humanité

par

Krzysztof Meyer (1943) : Symphonie n° 9 « Fidei speique Sinfonia », pour chœur et orchestre op. 126. Chœurs de la Philharmonie Karol Szymanowski de Cracovie ; Orchestre Philharmonique de Poznań, direction Jakub Chrenowicz.2016. Notice en polonais et en anglais. 52.23. Dux 1713.

Le 18 mars 2016, l’Orchestre Philharmonique de Poznań créait en première mondiale cette neuvième symphonie de Krzysztof Meyer, sous-titrée « symphonie de la foi et de l’espoir ». C’est l’écho de ce concert donné à l’Auditorium Adam Mickiewicz de cette cité de l’ouest de la Pologne que le label Dux propose ici. Ce n’est pas la première fois que nous nous penchons sur une vaste partition symphonique de ce natif de Cracovie, qui a étudié la composition dans son pays natal avec Penderecki avant de suivre des cours à Paris avec Nadia Boulanger entre 1964 et 1968 ; cette dernière l’a considéré comme un musicien exceptionnel dans un entretien au Figaro du 7 mai 1970. Il a enseigné, à Cracovie et à Cologne, et est l’auteur, entre autres, de la biographie de Chostakovitch publiée par Fayard en 1994, où il évoque d’intéressants souvenirs personnels sur ce compositeur qu’il a bien connu. Nous avons présenté dans ces colonnes, le 10 novembre 2019, la Symphonie n° 8 de Meyer, un requiem pour chœurs et orchestre écrit entre 2009 et 2013 et dédié à l’Holocauste. Cette partition noire et tragique, qui s’inspirait de textes du poète classique Adam Zagajewski (°1945), était aussi porteuse d’un espoir, celui que les atrocités ne se renouvellent pas.

Pour Thomas Weselmann, auteur de la notice, il faut bien se rendre compte que, presque deux siècles après, le message de fraternité, distillé par les paroles de Schiller dans la Neuvième de Beethoven, relève de l’utopie. La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine en est un exemple frappant. Les sept parties de la Neuvième de Meyer, toutes nourries par un texte biblique, donnent une image pessimiste de l’humanité. Le septième mouvement, Lo stesso tempo, l’atteste résolument dans sa première partie par le biais du psaume 120, « Souffrance de l’exilé », qui se conclut ainsi : « Assez longtemps mon âme a demeuré auprès de ceux qui haïssent la paix. Je suis pour la paix ; mais dès que je parle, ils sont pour la guerre. » Cet aveu d’impuissance et de désespoir cède malgré tout la place à la louange pour l’Eternel, tirée du psaume 117 : « car sa bonté est grande, et sa fidélité dure toujours. » Avant d’en arriver à ce retour de l’illusion, le parcours se sera révélé sinueux et douloureux.

Les trois premiers mouvements, Largo, Furioso et Solemne, au cours desquels on ne peut s’empêcher de penser à Penderecki en raison de leur caractère invocatoire, se déroulent attacca avec des effets percussifs mystérieux qui ponctuent les chœurs dans un passage du psaume 4 qui demande à Dieu d’écouter la prière qui monte vers lui, de manière implorante et extatique (Largo) avant une courte partie instrumentale, sans voix, dévolue aux cordes. Une dramatisation apparaît, dans une accélération de tempo qui évoque le trouble de l’âme torturée en attente de réponse (Furioso). La douleur atteint un comble dans le Solemne qui fait appel aux voix pour un fragment du psaume 35, avec interventions des bois, dans un climat d’oppression, presque figée, placé là pour esquisser la croyance en l’espoir. Les appels au secours ne laissent cependant guère planer de doute, tant leur densité de souffrance écorchée est mise en exergue. 

Le quatrième mouvement est un Lento, sur la base du psaume 64, qui implore Dieu, l’éloignement de la crainte et la protection contre les ennemis. Cuivres et cordes se joignent au chœur dans une atmosphère sombre parfois proche du murmure. La désolation est au creux de l’appel. Le Feroce qui suit, inspiré du psaume 2, pose des questions essentielles : « Pourquoi ce tumulte parmi les nations, ces vaines pensées parmi les peuples ? » et marque un moment de révolte, certes bref, dans un contexte confus où la rébellion, l’appel à la sagesse et l’allusion à la colère divine se manifestent. Le chœur soutenu par cuivres et percussion s’anime, avant une partie à six voix qui confirme « l’onction et le règne du Christ dans sa majesté ». Dans un état presque hymnique, empreint de dynamisme, le chœur semble avoir gagné le droit de savourer la compréhension des peuples, en affirmant que sont « heureux tous ceux qui se confient à lui ». Le sixième mouvement, Estatico, qui commence lui aussi attacca va maintenir cette allégeance pour peu à peu se diluer, et même se disloquer à travers le psaume 123, dans une imploration à la pitié de l’Eternel et la conscience de « l’orgueil et du mépris des hautains ». C’est ici que l’image pessimiste de l’humanité, que nous avons soulignée plus avant, prend tout son sens. Le message de Meyer est en fin de compte ambigu face à un constat résolument tragique : le sous-titre de sa symphonie où la foi et l’espoir esquissés sont confrontés à la réalité cruelle, serait-il une tentative de se convaincre lui-même que tout n’est peut-être pas perdu ? 

Comme dans sa Symphonie n° 8, Meyer interpelle l’auditeur dans la Neuvième à travers une partition dont, une fois de plus, comme de la précédente, on ne sort pas intact, car elle nous met en face de nous-mêmes et de la manière dont nous pouvons réagir quand le pire est aux portes de notre quotidien. La portée philosophique rejoint ici la réflexion musicale. Il convient que cette adresse aux consciences ne soit pas diluée et que cette symphonie, remarquablement interprétée par les chœurs et l’orchestre polonais, menés avec une attention fervente par Jakub Chrenowicz, soit entendue par tous les êtres de bonne volonté.

Une indispensable première discographique mondiale.    

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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