Première mondiale au Grand Manège de Namur : recréation exceptionnelle de l’opéra Zoroastre de Rameau

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Le dimanche 24 avril, une première mondiale est à l’affiche du Grand Manège de Namur. L’opéra de Jean-Philippe Rameau, Zoroastre, dans sa première version de 1749, a enfin droit à sa recréation. Créé pour la première fois à Paris en 1749 sur base d’un livret de Louis de Cahusac, cette œuvre ne recevra pas le succès escompté. Malgré les 25 représentations, à chaque fois avec un public venu en nombre assister à cet opéra d’un Rameau au sommet de sa gloire, cette œuvre cassant les codes de l’époque n’a jamais réussi à conquérir le public français. Rameau et de Cahusac vont dès lors remanier cette tragédie en musique de cinq actes pour en obtenir une version bien différente créée en 1756. C’est cette dernière version qui a longtemps été privilégiée, laissant de côté la version originale de 1749. Il aura donc fallu attendre plus de 270 ans pour que la recréation soit produite. Cela est rendu possible par un partenariat international entre le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), le Centre d’Art Vocal et de musique ancienne de Namur (CAV&MA), l’Ateliers Lyrique de Tourcoing et Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie.

L’argument de cette tragédie en musique est en somme assez simple. D’un côté, il y a Abramane, le Grand Prêtre des idoles dont l’objectif est de devenir le maitre de la Bactriane. Pour cela, il a assassiné le Roi en place, fait exiler Zoroastre, le héros de l’histoire, et enlever Amélite, héritière présomptive du trône de la Bactriane. Dans son camp se trouve Erinice. Elle est amoureuse de Zoroastre mais il ne l’aime guère. Elle s’allie donc avec Zoroastre pour se venger. 

S’en suit une multitude de péripéties pour que Zoroastre et Amélite retrouvent le trône de leur nation. On retrouve aussi de nombreux personnages : la Vengeance, un Génie, une Fée, trois Furies, de sauvages Indiens, des mages et bien d’autres qui font vivre cette intrigue qui verra finalement triompher le couple légitime.

L’interprétation de cette recréation est tout bonnement magistrale. Elle a subjugué le public dans une salle presque comble. Il suffit de voir la standing ovation et les longs applaudissements réservés aux artistes pour comprendre à quel point cette production est une réussite. Tant les solistes, que le Chœur de Chambre de Namur préparé par Thibaut Lenaerts, que Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie interprètent cette pièce avec brio. Le tout sous la direction d’Alexis Kossenko, chef d’orchestre et flûtiste français qui connaît la partition sur le bout des doigts. Il peut d’ailleurs compter sur un casting de solistes de haut vol. Dans les rôles du couple phare, la soprano Jodie Devos interprète Amélite tandis que le ténor Reinoud Van Mechelen assure le rôle de Zoroastre. Ces deux chanteurs -dont la réputation n’est plus à faire- remplissent merveilleusement la salle de leurs voix. Tout comme les solistes complétant le casting, à savoir Véronique Gens (Erinice), Tassis Christoyannis (Abramane), David Witczak (Zopire, un Génie, la Vengeance et Ahrimane), Marine Lafdal-Franc (Zélise, 1ère Furie et une Fée), Gwendoline Blondeel (Céphie et Cénide), Mathias Vidal (Abénis, Orosmade et 2e Furie) et Thibaut Lenaerts (3e Furie). Ils donnent chacun à leur manière vie aux personnages qu’ils interprètent tout en respectant le texte et en essayant de traduire au mieux les émotions de ce dernier. Il faut aussi souligner les prouesses techniques de ces chanteurs, telles des vocalises impressionnantes pur la plupart d’entre eux. 

Le Chœur de Chambre a lui aussi été remarquable. Tantôt il soutient les solistes, tantôt il est lui même soliste. Le tout dans une justesse des nuances et des notes. Comme les solistes, ils s’accordent à donner le bon caractère aux paroles.

Comme n’a pas manqué de rappeler Jean-Marie Marchal, directeur du CAV&MA et du Grand Manège, aux spectateurs présents, cette orchestre baroque est composé de près de 40 musiciens, ce qui est assez rare pour ce type de formation. 

Les instrumentistes à vent utilisent des instruments anciens tout comme les instrumentistes à cordes utilisent des archets baroques. L’orchestre joue son rôle à la perfection. Il soutient le chœur et les solistes mais ne reste cependant pas cantonné à ce rôle-là. En effet, l’ensemble doit aussi assurer les passages sans chant et devient dès lors l’acteur principal de la pièce. 

Les flûtistes utilisent toute la grâce de leur instrument pour enjoliver de nombreux extraits de l’œuvre. Les hautbois et les clarinettes ont un rôle plus mélodique et accompagnent de manière générale les violons, ce qui donne une couleur et un timbre intéressants. Les bassons (au nombre de 4 !) et les violoncelles s’illustrent particulièrement dans de beaux contrechants. Les violons et altos jouent parfaitement ensemble tantôt dans un rôle d’accompagnement, tantôt dans un rôle de mélodie principale. La percussionniste magnifie pour notre plus grand plaisir tous les passages où elle joue avec une grande variété d’instruments d’époque. Les cors et les trompettes assurent un rôle plus majestueux avec la sonorité cuivrée qui les caractérise. Pour finir, la basse continue, à savoir le clavecin, la contrebasse et quelques violoncelles sont d’un soutien infaillible pour les chanteurs.

Je ne peux que conseiller d’aller voir cette recréation dirigée avec maestria par un chef talentueux tout comme le sont l’orchestre, le chœur et les solistes d’exception.

Ils seront à Anvers le 28 avril, à Tourcoing le 30 avril et à Paris au Théâtre des Champs-Elysées le 16 octobre.

Namur, le Grand Manège, le 24 avril 2022.

Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep

Crédits photographiques : DR

 

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