La « Romantique » de Bruckner étrangement revisitée par Thomas Dausgaard à Bergen

par

Anton Bruckner (1824-1896), Symphonie no 4 en mi bémol majeur WAB 104 (version 1878-80, édition Nowak). Thomas Dausgaard, Orchestre philharmonique de Bergen. Janvier 2020. Livret en anglais, allemand, français. TT 61’14. SACD BIS-2534

Après les symphonies 2, 3 et 6 qui n’avaient pas toujours convaincu, Thomas Dausgaard poursuit son exploration du corpus brucknérien, et s’en remet aux mêmes recettes. Bien simples et systématiques, ce qui incitera nos lignes à la synthèse plutôt qu’une analyse détaillée. La durée globale indique assez que le chef n’entend pas s’alanguir –ce n’est pas ici que les amateurs de cathédrales sonores viendront se recueillir dans les vastes nefs de cette « Romantique ». On dirait que l’édifice ne peut s’intensifier que par la nécessité du mouvement. De surcroît, la gestion du tempo confond mobilité et précipitation, notamment dans les forte qui assimilent emphase et accélération. Le contraste dynamique se trouve ainsi asservi au levier de vitesse, pour une efficacité superficielle, trop prévisible, et que ne légitiment ni la partition ni la grandeur du propos.

Combiné à une lecture littérale qui ne semble guère s’inspirer au-delà des notes, cette physionomie schématise le paysage dramatique du Bewegt, nicht zu schnell, qui malgré une battue incisive devient étroite navigation en eaux mortes entre des balises sursignifiées. Idem pour l’Andante chichement phrasé, qui semble vampirisé par son climax, et s’éteint dans un geste disgracieusement banal comme si on coupait le son : une épure anecdotique qui trace son chemin sans émouvoir. Malgré l’agilité des cuivres norvégiens, les fanfares du Scherzo s’entendent ici plus agitées que pugnaces, trépignent au risque du débraillé, et encadrent un Trio qui se voudrait bucolique mais dont le charme s’évapore. La rusticité de ces scènes de chasse s’en trouve aseptisée, comme en apnée, pressée d’en finir de crainte de crotter ses éperons.

On ne peut pas dire que la trame manque d’informations, l’ébarbage des textures permet d’observer l’instrumentation en toute transparence. La séparation latérale des violons pourrait même enrichir le relief du discours si celui-ci ne semblait disséqué plutôt que construit. Allégé dans sa parure (y compris des contrebasses sveltes mais évidées) et avare d’enjeu dans son architecture expressive. On s’en serait douté dès l’initial appel de ce cor qui prêche dans le désert, antichambre à une interprétation creusée sans âme qui vive.

Le pire vient dans le Bewegt, doch nicht zu schnell : on se demande comment l’avertissement du compositeur (« animé mais pas trop vite ») est compris quand les séquences, faute d’une sincère dialectique, se réduisent à un tel catalogue de fluctuations arbitraires, de velléitaires foucades, d’intentions étranges, dont le dessein en crise paraît réinventer la morphologie, la dramaturgie de ce Finale. Si l’on n’a entendu un tel fallacieux arsenal sous aucune autre baguette, peut-être y-a-t-il une raison à ne pas frelater l’imaginaire de ces pages. Leur démesure intrinsèque n’a besoin ni d’une surenchère ni d’une concurrence rénovatrice.

Dans l’ensemble, le valeureux orchestre de Bergen n’a certes rien à se reprocher mais à quoi veut-on le soumettre ? Voudrait-on essayer de prouver que les maestros seront bientôt remplaçables par une intelligence artificielle, avec ses fulgurances et ses bêtises ? Cette symphonie pétrie d’imagerie médiévale fantasmée est une des plus spontanément accessibles et des plus directement éloquentes du Maître de Saint Florian. Décalquée sur une lecture astringente et prosaïque, où l’insipide côtoie le prétentieux, ne reste-t-il du chef-d’œuvre qu’un provocant espéranto ? Les mélomanes férus d’expériences-limites peuvent s’y aventurer. Pour les autres, caveat emptor. Heureusement la discographie ne manque pas de visions moins clivantes, moins contestables, et plus authentiquement captivantes, d’Eugen Jochum, Bruno Walter, Karl Böhm… jusqu’à Manfred Honeck à Pittsburgh, si vous tenez à une pertinente version récente en support SACD.

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 3,5

Christophe Steyne

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