Le Baroque autrichien au sommet : suave récital de rares arias de Johann Joseph Fux
Arias for the emperor. Johann Joseph Fux (c1660-1741) : extraits des operas et oratorios Giunone placata, K. 316 ; Dafne in Lauro, K. 308 ; La Desposizione dalla croce di Gesù Cristo Salvator nostro, K. 300 ; Il Fonte della salute, aperto dalla grazia nel calvario, K. 293 ; Julo Asciano, K. 304 ; La Decima fatica d'ercole, K. 307 ; Orfeo ed Euridice, K. 309 ; Il Testamento di nostro Signor Gesù Cristo sul Calvario, K. 299. Maria Ladurner, soprano. Biber Consort. Livret en anglais, allemand ; paroles des chants en langue originale (italien) et traduction allemande. Septembre 2020. TT 61’12. Pan Classics PC10425.
Ce compositeur trône comme un éminent représentant de l’apogée du Baroque autrichien. Maître de Chapelle de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne puis de la Cour impériale, attaché au service de cinq souverains de la Maison des Habsbourg depuis que Léopold Ier l’avait nommé compositeur officiel en 1698. Théoricien majeur, auteur d’un fondamental ouvrage de contrepoint (Gradus ad Parnassum) qu’étudièrent Haydn et Mozart, sans compter le clin d’œil debussyste. Dès sa fondation, le Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt avait mis Fux à l’honneur (se rappeler un de leurs premiers vinyles en 1964, dans la série Musik in alten Städten und Residenzen) et contribua à révéler aux mélomanes les séductions de sa production instrumentale. Pourtant, la discographie ne défraie pas la chronique et reflète peu l’importance, la valeur du catalogue vocal, entrevues par Martin Haselböck (enregistrement de La Desposizione dalla croce en 1992) et René Clemencic (Dafne in Lauro, capté en 1990 dans le cadre des représentations parisiennes).
Le présent CD emprunte à cet oratorio et cet opéra, ainsi qu’à d’autres opus lyriques d’influence italienne, étagés sur une vingtaine d’années, entre 1708 et 1728. Conçu comme une sorte de cantate d’assemblage, le programme se structure en arche d’intensité : la sinfonia de Junon apaisée, ouatée par un Biber Consort moelleux, précède une série d’airs de gravitas ménageant une progression dramatique. Pour son tout premier disque, Maria Ladurner y séduit par une voix ample, pleine quoique pas des plus colorées, et qui tend à auréoler les mots plutôt que les vivre. On admirera le Caro moi Dio qui éclot délicatement. Une douce osmose laisse même flotter le Io non potea soffrir. Après un Vedi, che il Redentor condimenté par d’étranges trémolos de trombone, le récital culmine sur un lacérant Sì, vendetta io voglio far, fouetté avec vigueur mais sans saturer l’intensité de cette page (les consonnes de Crudo pourraient racler davantage). Le second volet de cette anthologie se décline alors en trois airs arcadiens (on note l’emploi particulièrement poétique du théorbe et du chalumeau dans Qual’ il sol in prato) et piétistes, où la soliste se révèle plus mélodieuse que diseuse ou tragédienne, accréditant ses conceptions dans le livret : « l'intimité avec laquelle Fux transforme les émotions humaines en musique, sa capacité à créer des œuvres du plus haut niveau de composition qui touchent néanmoins l'âme - voilà ce qui m'enchante ».
Tant pour l’accompagnement (inspiré mais sur la réserve) que le chant, la réalisation volontiers hédoniste, à laquelle le réfectoire de l’Abbaye de Sankt Florian apporte un écrin phonogénique, aurait-elle mérité un surcroît d’éloquence pour nous combler ? Toutefois dans l’ensemble l’interprétation se montre subtile et expressive, jusqu’au tableau du Christ sur le calvaire qui referme l’album. Là on touche au sublime, et on rend les armes devant l’art de Maria Ladurner et son aréopage au Parnasse. Sept arias sont annoncées en « premiere recordings », et deux œuvres sont inédites. Combien de trésors dorment dans les archives et bibliothèques ? C’est assez dire combien ce CD peut nous faire suavement patienter avant que d’autres ensembles daignent se pencher sur ces pages qui valent d’être arrachées à leur oubli.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
Christophe Steyne