Le fils Muffat par Naoko Akutagawa : dernier volume des Suites rapatriées de Kiev

par

Suites for harpsichord 3. Gottlieb Muffat (1690-1770) : Suite en la majeur MC B36, Suite en sol mineur MC B6, Suite en ré majeur MC B7, Suite en la mineur MC B37, Suite en ré mineur MC B12. Naoko Akutagawa, clavecin. Livret en anglais. Février 2021. TT 66’16. Naxos 8.574098

Une large part de l’œuvre de clavier de Gottlieb Muffat, oubliée dans les collections de la Singakademie de Berlin, fit partie du lot exfiltré pendant la Seconde Guerre mondiale vers la Silésie, puis conservé à Kiev où une équipe de chercheurs d’Harvard la retrouva en 1999. Ces archives furent restituées à Berlin en décembre 2001. Parmi une trentaine de Suites, la plupart inédites, Breitkopf & Härtel en publia douze depuis 2018, sous la supervision de Glen Wilson qui a signé la notice de ce CD (les livrets des deux précédents CDs émanaient de la jeune musicologue irlandaise Alison J. Dunlop, qui avant sa disparition prématurée s’évertua au catalogage des opus du compositeur). Après deux précédents volumes captés en mars 2012 et mars 2018, Naoko Akutagawa conclut son exhumation en « world premiere recordings » de ces manuscrits et a désormais enregistré la quasi-totalité de ces deux recueils (manque la Suite en fa majeur MC B4), toujours sur le même clavecin (Henk van Schevikhoven d’après Ruckers).

Le fils de Georg Muffat, élève de Johann Joseph Fux (c1660–1741), organiste de la Cour viennoise, professeur des familles aristocrates, fut un des musiciens les mieux payés de la capitale autrichienne, jusqu’à sa pension obtenue en 1764, l’année où disparaissait Rameau. Ces Suites déroulent une enfilade de danses et pièces de caractère dans la veine des « goûts réunis », où l’on détecte une forte influence du style français -le compositeur divulgua d’ailleurs une table d’ornementation très précise, à l’instar des auteurs du Grand Siècle. La claveciniste japonaise a éludé certaines reprises des partitions, sauf celles qui concluent les pièces. Son jeu fin, délicat et détaillé varie la palette expressive et domine les pages nobles comme les Allemandes et Sarabandes, sur un instrument plus propice à l’exploration polyphonique qu’au brio.

Une facture peut-être inadaptée à la loquacité de certaines pages : l’instrument finlandais tel qu’il est ici touché convainc moins par sa force de projection que pour son équilibre. En corollaire, l’interprétation ne manquerait que d’un surcroît de vigueur pour caractériser les pages rythmées (Gigues, Gavottes, Bourrées), hérisser certaines attaques en début de phrase (le Bastard) et souligner les ruptures de ton (par exemple dans ces Préludes MC B6 et B12 qui préfigurent le Sturm und Drang). Car tout n’est pas galanterie dans cet univers parfois fantasque, où des moments comme la Courante MC B36 appellent davantage de fantaisie. Dans l’ensemble, la prestation fait toutefois mieux que convaincre, et attire irrésistiblement l’attention sur ce corpus dont on espère qu’il sera saisi par d’autres clavecinistes : cet éloquent répertoire mérite la découverte et laisse désirer des visions complémentaires. Pourquoi pas sur un pétillant clavecin italien ? Ce n’est pas fortuit qu’Haendel, le « caro Sassone », s’inspira de son confrère viennois !

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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