A Lausanne un triomphe pour Alcina ! 

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En février 2012, l’Opéra de Lausanne avait présenté l’Alcina  de Haendel dans une mise en scène de Marco Santi qui n’avait guère marqué les esprits. Dix ans plus tard, Eric Vigié, son directeur, frappe un grand coup  en confiant une nouvelle production à Stefano Poda qui, à lui seul, assume régie, décors, costumes, lumières et chorégraphie. 

Et c’est justement par le jeu savant des éclairages qu’est créé un vaste jardin, encadré de cyprès effilés à la Fra Angelico, que découvrent les deux naufragés, Bradamante travestie en chevalier Ricciardo et son tuteur, Melisso. Immédiatement confrontés à Morgana, femme âgée portant une robe à panier noire démesurée, tous deux sollicitent une rencontre avec Alcina qui paraît dans une semblable crinoline blanche galonnée d’or. Tout habitant de l’ile, y compris Ruggiero, le fier chevalier, fiancé de Bradamante, revêt jaquette et culotte de cérémonie XVIIIe sur bas de soie. Lorsque descend des cintres une boule mastodonte qui s’entrouvre pour révéler le palais d’Alcina, une seconde jeunesse est donnée par enchantement à chacun de ceux qui y pénètre. Morgana ose s’afficher en body noir pailleté quand la reine, sa sœur, se pare d’un déshabillé vaporeux dans ses appartements de l’étage supérieur où règne la luxure, quitte à se donner du plaisir en usant des ‘loyaux services’ de la valetaille. Tandis que les abords de cet univers clos sont gardés par des panthères noires en céramique glazurée et que les serviteurs promènent des paons blancs empaillés, l’on finit par se rendre compte que ce monde enchanté a emprisonné les habitants en les métamorphosant en animaux et que tout dissident comme Oronte, Bradamante, Melisso et Ruggiero libéré du sortilège, est roulé dans une cage polyédrique. C’est donc lui qui brisera l’urne détentrice des pouvoirs magiques d’Alcina et de l’élixir de jeunesse. Et chacun retrouvera son aspect d’antan…

Il faut dire que cette conception scénique qui vous tient en haleine durant près de trois heures est secondée magnifiquement par la direction enfiévrée de Diego Fasolis qui, tout en assumant le continuo au clavecin, galvanise l’Orchestre de Chambre de Lausanne qui fait preuve d’une remarquable précision dans des tempi plutôt rapides.  Et le Chœur de l’Opéra de Lausanne est tout aussi cohérent dans ses quelques interventions.

Sur scène, la soprano néerlandaise Lenneke Ruiten est une Alcina bien plus convaincante que la pâle Lucia di Lammermoor qu’elle avait présentée ici en octobre 2017. Même s’il lui faut une moitié d’acte pour se mettre en voix, c’est par la qualité du legato et l’intelligence du phrasé que son personnage prend forme progressivement et devient émouvant dans des pages lentes comme « Ah ! mio cor ! schernito sei ! » et « Ombre pallide ». Pour qui a entendu en 2012 son Arbace dans l’Artaserse de Leonardo Vinci, Franco Fagioli nous révèle une triste évidence : le timbre a perdu son velouté en devenant crayeux et l’aigu ne peut éviter de désagréables stridences. Ecrit pour le castrat contralto Giovanni Carestini, le rôle de Ruggiero fait alterner le canto spianato (ou chant large) avec les pages virtuoses : si, dans le premier cas, son chant se ‘maniérise’ à l’excès (comme dans « Verdi prati »), il possède toutefois une technique éblouissante qui lui permet de remporter un triomphe avec la redoutable aria di furore « Sta nell’Ircana pietrosa tana ». Même si elle semble en passagère méforme par rapport à son Arsace de la Semiramide du mois dernier, la Bradamante de Marina Viotti sait pouvoir compter sur la solidité de ses moyens pour négocier les passaggi les plus invraisemblables et éblouir avec un magnifique « Vorrei vendicarmi del perfido cor ». Par contre, la Morgana de Marie Lys fait peine, tant son soprano est anguleux et donne l’impression de l’usure, alors qu’il y a quatre ans, elle faisait grand effet avec Lisa de La Sonnambula et Adele de Die Fledermaus. Sans intérêt, le Melisso vociférant de Guilhem Worms face à l‘Oronte du ténor sévillan Juan Sancho qui, lui aussi, a besoin de la durée d’un acte pour donner fluidité à son chant mais qui s’investit totalement dans son rôle d’amant trahi. Et la toute jeune Ludmila Schwartzwalder joue en travesti un pimpant Oberto qui se fraie un passage dans cet univers d’intrigues et de faux semblant. Mais lorsque le rideau tombe, fusent les acclamations d’un public enthousiaste qui les adresse ensuite à Diego Fasolis brandissant cette partition géniale !

Lausanne, Opéra, le 6 mars 2022

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Jean-Guy Python

 

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