Le foisonnement éclectique des concertos de Kalevi Aho

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Kalevi Aho (°1949) : Concerto pour flûte à bec et orchestre de chambre ; Concerto pour saxophone ténor et petit orchestre ; Sonate concertante pour accordéon et cordes. Eero Saunamäki, flûte ; Esa Pietilä, saxophone ténor ; Janne Valkeajoki, accordéon ; Saimaa Sinfonietta, direction Erkki Lasonpalo. 2022. Notice en anglais, en finlandais, en allemand et en français. 71.33. SACD BIS-2646.

Le label BIS a largement documenté le catalogue du compositeur Kalevi Aho, né à Forssa, une petite ville de tradition industrielle, située au Sud de la Finlande, à un peu plus de cent kilomètres d’Helsinki. Après des études de violon dans sa cité natale, il suit, dans l’Académie Sibelius de la capitale, les cours de composition d’Einojuhani Rautavaara. On le retrouve à Berlin en 1971, à la Staatlische Hochschule für Musik, où il est l’élève de Boris Blacher. Devenu pédagogue à partir de 1974 à Helsinki, il poursuit une carrière de compositeur, entamée dès ses dix ans. Il est par ailleurs très actif dans la vie musicale de son pays. A ce jour, son catalogue prolifique compte cinq opéras, dix-huit symphonies, des pages orchestrales, de la musique de chambre et vocale, des pièces isolées et des arrangements. Mais aussi un énorme corpus d’une quarantaine de concertos, série entamée en 1981. La plupart de ces partitions sont le gage d’un foisonnement imaginatif ; au-delà des instruments habituels (piano, violon, violoncelle, parfois sous la forme d’un double ou d’un triple concerto), on trouve des pages, parfois insolites, pour tuba, pour timbales, pour accordéon ou pour quatuor de saxophones, mais aussi pour thérémine, cet instrument électronique créé en 1920 par le Russe Lev Termen. C’est dire l’éclectisme de ce créateur, que l’on considère comme l’un des plus importants de la Finlande contemporaine. Nous avons présenté ici même, le 22 octobre 2020, son concerto pour percussion, couplé à sa Symphonie n° 5

Le nouvel album propose trois facettes de Kalevi Aho dans le domaine concertant. Le compositeur a rédigé lui-même la notice, comme cela a déjà été le cas pour d’autres productions du label BIS. Nous suivrons ce guide éclairé pour notre présentation. Le Concerto pour flûte à bec et orchestre de chambre a été composé en 2020 à la demande du virtuose Eero Saunamäki, qui a créé des dizaines d’œuvres de notre temps, notamment de ses compatriotes, et dont le répertoire couvre aussi la musique populaire. Les vingt minutes en un seul mouvement sont destinées à plusieurs flûtes que le soliste utilise de manière à varier les atmosphères qui vont du registre grave du début de l’œuvre à des moments méditatifs ou percutants et à ce que Aho appelle des gazouillis virtuoses lorsqu’intervient la flûte sopranino. Le néoclassicisme est présent ; on retrouve des flash-backs de l’époque baroque. Le tout forme un ensemble séduisant, parfois délicieux, dans une instrumentation subtilement raffinée, que l’on découvre avec une certaine fascination, car le compositeur sait intégrer à la virtuosité une expressivité sans cesse en éveil. La création a eu lieu le 2 septembre 2021 à Mikkeli, ville du Sud de la Finlande, par les mêmes interprètes que sur la présente gravure, qui date de l’année suivante. Saunamäki sert l’œuvre avec un art brillant des inflexions et des nuances. La Saimaa Sinfonietta, issue en 2006 de la collaboration entre deux cités du sud de la Finlande, signe ici avec brio son premier disque commercial ; cette phalange est dirigée par le jeune chef Erkki Laponsalo, qui s’est formé auprès de Jorma Panula et Leif Segerstam après avoir étudié le violon. Il est en osmose avec l’art de Kalevi Aho. 

Cinq ans auparavant, Kalevi Aho avait écrit pour le saxophoniste Esa Pietilä, qui pratique aussi le jazz contemporain et la musique improvisée, un Concerto pour saxophone ténor et petit orchestre. Ce soliste a été le créateur de l’œuvre en 2016 avec une autre formation que la présente. En un seul mouvement aussi, l’œuvre comprend, en vingt-quatre minute, des sections contrastées, depuis un début en registre grave, comme avec la flûte à bec, pour se poursuivre dans la vitalité ou la tristesse, avec des passages contenant des micro-intervalles et des multiphoniques. L’intérêt est maximal dans ce que Aho appelle le point culminant de l’ensemble, à savoir l’emploi du darbouka, tambour à gobelet oriental, le saxophone évoluant alors dans une ambiance rythmée et débridée. La partition s’achève dans le silence, après que le soliste ait joué, précise Aho, d’une manière qui rappelle le pizzicato des cordes. On reconnaîtra au compositeur une imagination inépuisable dans l’utilisation des potentialités du saxophone ténor (dont certains accents jazzy), qu’il souligne lui-même en termes de volonté d’expressivité. La réussite est à la hauteur de l’intention, tout comme les interprètes qui en livrent une version décapante. 

La Sonate concertante pour accordéon et cordes est une version enrichie de la Sonate n° 1 pour cet instrument moins habituel dans le paysage classique, écrite entre 1984 et 1989 et revue en 2019 pour la présente version. Il s’agit encore une fois d’une demande d’un praticien, l’accordéoniste Janne Valkeajoki, qui est aussi chef d’orchestre. On apprécie les diverses couleurs fournies par l’instrument, en particulier dans une passacaille centrale très virtuose. Les deux mouvements (un peu plus de vingt-cinq minutes) se révèlent à la fois cadencés et virtuoses, avec des répétions de notes et des nappes de cordes. Le soliste en a assuré la création en juillet 2021, sous la direction du même chef, Erkki Lasonpalo, mais avec une autre formation.

Cet album éclectique confirme la curiosité de Kalevi Aho pour de multiples expériences, comme son catalogue le confirme. On salue la manière avec laquelle il sait s’adapter à chacune d’entre elles, n’hésitant pas à tester lui-même les instruments choisis. Ce fut notamment le cas en ce qui concerne la flûte à bec. Servi par une prise de son optimale et par des interprètes inspirés, cet album explique à quel point ce compositeur, trop peu joué chez nous, est adulé en territoire nordique. On ne passera pas sous silence l’esthétique de la pochette de ce disque, qui reproduit un fragment de Rythme n° 2 (1938) du peintre Français Robert Delaunay, fondateur de l’orphisme ; dans ses recherches sur les formes circulaires, cet artiste a peint ou créé dans les années trente des œuvres murales qui portent globalement ce titre, bien en phase avec le contenu musical. Le label BIS a déjà puisé dans cet ensemble de Rythmes pour illustrer d’autres CD consacrés à Kalevi Aho. L’initiative est une réussite visuelle. La musique aime aussi s’accommoder du plaisir de l’œil.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

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