Le Mahler polychromique de Vladimir Jurowski.
Gustav Mahler (1860-1911), Symphonie n° 4 en sol majeur. London Philharmonic Orchestra, Sofia Fomina, soprano, Vladimir Jurowski. 2016-Livret en anglais- LPO, Référence : LPO0113
En découvrant la pochette du troisième opus de l’intégrale des symphonies de Mahler que mène avec brio depuis quelques années le chef russe Vladimir Jurowski, nous avions envie de citer la célèbre fable de Jean de La Fontaine le Corbeau et le Renard : « Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage, Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. ». Les belles plumes qui ornent le livret de ce CD annoncent la couleur.
Nous avons connu par le passé Vladimir Jurowski énervé, parfois rageur mais toujours pour la bonne cause, celle d’une lecture renouvelée d’un répertoire parfois routinier. A l’image d’un Téodor Currentzis, le Moscovite ne laisse personne indifférent aussi bien sur le fond que sur la forme. Il lui arrive même d’en faire trop au risque d’agacer et de lasser… Ici il nous prend par surprise par sa retenue en nous livrant à la tête du London Philharmonic Orchestra une lecture apaisante et même salutaire. Point de démonstration orchestrale ou de fausse communion à la nature. Jurowski n’est pas un castor junior ou un Sylvain Tesson de la baguette. Si la musique de Mahler est bien celle de « la nature », le chef russe la traite avec sincérité et puise dans ses racines mozartiennes pour lui donner tout le lyrisme et la tristesse qu’elle réclame.
Le premier mouvement est comme l’indique la partition « sans hâte ». Jurowski prend son temps pour nous offrir toutes les couleurs de l’œuvre. Il prépare soigneusement sa palette. Comment ne pas penser à cette époque au grand Renoir et à l’impressionnisme encore contemporain de Mahler ? Mais c’est l’inverse qui s’offre à nous. Ce n’est pas un beau jardin ou une scène de la vie bourgeoise mais des danses rustiques de paysans en provenance des immenses terres montagnardes si chères au compositeur. Un mélange de beauté et d’inquiétude.
Dans le second mouvement « La mort conduit le bal ». C’est le violon (et fort bien ici) qui guide nos pas dans ce dédale grinçant et caricatural. Là encore Jurowski modère le tempo tout comme dans le troisième volet de la symphonie qui s’achève dans la plénitude et l’exaltation. Nous sommes en paix avec le monde et heureux de l’être !
Le quatrième mouvement avec son Lied est une gageure. Si Margaret Price (Horenstein, EMI) et Frederica Van Stade (Abbado, DG) sont pour nous les deux références en la matière, Sofia Fomina -l’autre russe de la production- fait une belle impression grâce à sa grande technique vocale (très bel aigu). Cette habituée de rôles complexes à l’opéra (Manon, Rosina…) est très à l’aise avec le rythme cette fois « Ruhevoll » imposé par Jurowski.
En conclusion, « Nous goûtons les joies célestes, détournés des choses terrestres. » avec cette nouvelle version de la Quatrième symphonie de Gustav Mahler. Elle ne bouleversera sans doute pas le panthéon de la discographie mais elle s’impose comme une alternative intéressante et moderne.
Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 9
Bertrand Balmitgère