Qu’ils content fleurette à Vénus ou à Bacchus, les Arts Florissants nous enivrent encore et toujours…

par

« Si vous vouliez un jour… ».  Airs sérieux et à boire de Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704), Étienne MOULINIÉ (1599-1676), Michel LAMBERT (1610-1696) et Sébastien LE CAMUS (c. 1610-1677). Les Arts Florissants, dir. William Christie. 2019-73'44"-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Textes chantés en français ou italien traduits en français, anglais et allemand-Harmonia Mundi HAF 8905306

Dans ce deuxième corpus d’airs sérieux et à boire, les Arts Florissants poursuivent inlassablement l’exploration du répertoire musical du Grand Siècle. Michel Lambert et Marc-Antoine Charpentier se partageaient déjà la vedette dans le premier volume, aux côtés de François Couperin et de compositeurs plus méconnus, Joseph Chabanceau de La Barre et Honoré D’Ambruys. Ils côtoient cette fois Étienne Moulinié et Sébastien Le Camus.

Succédant à la « voix de ville » (ou vaudeville), l’air de cour, profane et d’aspect léger, égaiera toute la première moitié du 16e siècle, avant de décliner rapidement. De forme strophique, il insiste sur l’intelligibilité du texte. L’importance accordée à la prosodie ne va toutefois pas jusqu’à assujettir la musique aux vers. Comme les vocalises, souvent à vocation comique, les ornements, laissés au gré des interprètes, jouent un rôle essentiel ; sans eux, en effet, la monotonie ne manquerait pas de prendre ses quartiers. Au mitant du 17e siècle, l’air de cour sera supplanté par l’« air sérieux », traditionnellement à voix seule et basse continue, qui investit les salons et cercles mondains. 

Des dizaines d’Airs de différents auteurs furent publiés durant la seconde moitié du 17e siècle, notamment par Ballard, sans compter les airs édités au compte-goutte dans le Mercure galant ou laissés à l’état manuscrit. Publier des airs de cour dans les célèbres recueils mensuels d’Airs sérieux et à boire, dont ceux de Ballard, était considéré par les compositeurs de l’époque comme un moyen de s’attirer la notoriété à moindre frais. Alors que les airs sérieux sont axés sur le thème de l’amour et de l’idéal courtois, les airs à boire, volontiers grivois, mettent l’accent sur la galanterie -les poètes ne manquant jamais d’imagination pour ciseler dans ce registre des vers métaphoriques ou à double sens- et sur les joies que procure la treille. 

Étienne Moulinié, auquel on doit pas moins de sept recueils d’airs de cour, passe pour être le dernier grand représentant de l’âge d’or de l’air de cour, d’inspiration galante et généralement polyphonique. Nommé maître de la Musique de la Chambre du roi en 1661, Michel Lambert, auquel on doit un recueil d’Airs gravez, publié un an auparavant, devint l’un des principaux adeptes du genre -beau-père de Lully, il avouait humblement ne pas être capable d’écrire des motets… Les Airs à une, II, III et IV parties de Lambert, publiés en 1689, remettent la polyphonie à l’honneur. Comparse de Lambert au sein de la Chambre du roi, Sébastien Le Camus laissa, lui aussi, de nombreux Airs, à deux et trois parties, publiés à titre posthume en 1678. L’émergence de l’opéra français incita progressivement les compositeurs à assembler des airs sérieux augmentés de ritournelles instrumentales. Telle est La Petite pastorale H.479 de Marc-Antoine Charpentier, qui signa au moins une quarantaine d’airs et divertissements d’inspiration pastorale et galante. L’influence italienne que subit l’auteur de Médée se ressent dans la séduisante Pastoraletta H.493.  

S’il faut bien convenir que les pièces figurant sur ce disque ne sont pas toutes d’un égal intérêt, une intelligente alternance des airs apolliniens et des chansons dionysiaques et la variété des effectifs qu’ils mettent en scène (deux, trois ou quatre parties avec ou sans basse continue, ensembles vocaux accompagnés ou a cappella) confèrent néanmoins à ce florilège un attrait indéniable; d’autant plus que ces airs exigent des chanteurs une grande habileté vocale, ce dont les protagonistes de cet enregistrement ne manquent pas. Les ornements, inventifs, colorent le discours autant que faire se peut. Les prouesses époustouflantes des musiciens n’ont d’égales que leurs talents de comédiens, qui conviennent à merveille aux airs paillards -tels que « Guillot est mon ami », à quatre voix a cappella, et « Amis, enivrons-nous » de Moulinié, ainsi que « Goderò, mi dice Amore » de Charpentier. On saluera par ailleurs la douceur dont ils savent faire preuve dans les airs sérieux, comme en témoignent « Sans murmurer » de Lambert (qui s’achève sur un tendre a cappella éploré) et « Laissez durer la nuit, impatiente Aurore » de Le Camus. L’équilibre vocal et instrumental est idyllique. Avec le temps, les Arts Florissants, qui fêtent cette année leur quarantième anniversaire, n’ont décidément rien perdu de leur éclat ! 

Quant à la prise de son, très proche des artistes, elle installe d’emblée l’auditeur à leur table, au cœur même de l’événement musical. 

Un troisième volume d’Airs sérieux et à boire se profile déjà à l’horizon, qui fera à nouveau la part belle à Étienne Moulinié. Pierre Guédron (autre grand représentant du genre, qui a laissé six recueils d’airs de cour), Antoine Boësset (qui, fort de quatorze recueils, en est peut-être le champion toutes catégories), Claude Le Jeune et Eustache Du Caurroy. Gageons que l’aventure se poursuivra ensuite avec Gabriel Bataille (qui compte six recueils à son actif) et -pourquoi pas ?- Nicolas Clérambault, qui a légué huit airs sérieux et à boire.

Son 9 – Livret 8 – Répertoire 8 – Interprétation 10

Olivier Vrins

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