Le tout jeune Rihm improvise et s’enregistre à l’orgue

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Wolfgang Rihm (*1952) : improvisations à l’orgue. Wolfgang Rihm, orgue de l’église St. Peter und Paul de Karlsruhe-Durlach. Enrgmt ca 1970, restauration 2019. Livret en anglais et allemand. TT 70’22. Cybele SACD H061805.

La musique c’est la liberté, la musique c’est l’autre. Ainsi Wolfgang Rihm, un des plus grands compositeurs contemporains, auteur de quelque cinq cents œuvres, résuma-t-il son credo. Il avait treize ans quand fut érigé cet orgue dans l’église paroissiale de sa ville natale, près de la Bismarckplatz, et pas encore vingt quand il s’y laissait enfermer pour la nuit, improvisant pour lui-même et s’enregistrant sur magnétophone. Ce sont ces documents sonores, expertement restaurés (physionomie nettement définie et relief profond malgré la monophonie) que nous propose ici le sagace label de Düsseldorf : presque exhaustivement (les autres archives s’entendent dans un coffret de quatre disques du même éditeur, Cybele KIG 012).

L’adolescent pensait déjà grand (l’orgue était son orchestre), nourrissait une ambition qu’excuse le jeune âge et qu’a légitimée son parcours ultérieur. Être la réincarnation de Max Reger, le continuateur de l’école symphonique française, voilà quelques audaces qui alimentèrent ses pensées lors des sessions. À la fois puériles et gages de maturité. Se poser en héritier, aveu implicite : un orgueil foncièrement plus raisonnable que se rêver en chantre de la modernité, ou prendre la pose du révolutionnaire, alors qu’à une centaine de kilomètres,  à Darmstadt, les Internationale Ferienkurse für Neue Musik se sclérosaient sous le dogme.

La forme cultive principalement le genre de la fantaisie. La moitié des neuf pièces ne se désignent que par le terme d’improvisation, sans autre titre que leur numéro. La cinquième, taquinée par un sourd ostinato, transpercée d’aveuglantes concrétions, est la plus intrigante. On trouve aussi un Präludium und Fuge, une émouvante élaboration (passagèrement triturées par des grupetti sur anche douce) sur le cantique O Volk was tat ich dir associée au Vendredi Saint ; une foudroyante Toccata sur B-A-C-H, et des Variations sur le thème baroque de La Follia déployées sur un large quart d’heure (la pièce évidemment la plus mélodique du lot). 

Dans l’épaisse notice, abondamment illustrée de rares photos d’époque, Martin Schmeding livre quelques clés de compréhension de ce langage qui s’invente et annonce quelques futures caractéristiques du compositeur allemand. On ne saurait résumer les recettes et procédés, au demeurant fort variés, de ce créateur qui ne s’est jamais affilié à un système. On observera l’ingéniosité des registrations, certaines sciemment incongrues (alliance anches-mixtures par exemple). La gamme dynamique, depuis l’onirisme éthéré jusqu’aux zébrures en tutti. On succombe volontiers à l’autorité de ces témoignages (le flamboyant acmé de la Fugue à 11’57), et surtout à la poésie qui s’en dégage. Le génie n’est certes pas omniprésent mais la fraîcheur emporte l’adhésion : un zèle qui vise moins à épater qu’à expérimenter, voire s’amuser (« actionner le rouleau de crescendo jusqu’à ce qu’il craque » !) 

On complètera cet intéressant album par le coffret susnommé, qui prodigue l’intégralité des pièces que Rihm écrivit pour l’instrument. Outre l’improvisateur, on saluera aussi sa précoce virtuosité d’exécutant (rappelons qu’il avait environ dix-huit ans !), notamment la précision du phrasé qui, de l’à-plat à la morsure, offre une vie immédiate à ses idées. 

Son : 7 (bandes originales) & 10 (restauration) – Livret : 10 – Répertoire & Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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