Le violoncelle de Jan Vogler pour Lalo et le frère de Pablo Casals

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Édouard Lalo (1823-1892) : Concerto pour violoncelle et orchestre ; Enrique Casals (1892-1986) : Concerto pour violoncelle et orchestre « dans le style romantique sérieux ». Jan Vogler, violoncelle ; Moritzburg Festival Orchestra, direction Josep Caballé Domenech. 2022. Notice en anglais et en allemand. 58.28. Sony 19658801582.

Marquée notamment par les commémorations de la naissance de Serge Rachmaninov (150 ans), de Maria Callas ou de György Ligeti (un siècle chacun), la cuvée 2023 est aussi celle du bicentenaire d’Édouard Lalo, qui a vu le jour le 27 janvier 1823. C’est donc en toute logique que le violoncelliste d’origine allemande Jan Vogler (°1964) a ajouté à son abondante discographie qui témoigne d’un vaste répertoire, dont de nombreuses pages et créations contemporaines, le Concerto pour violoncelle du natif de Lille. Jan Vogler, qui a compté parmi ses professeurs son père Peter, mais aussi Heinrich Schiff ou Siegfried Palm, a occupé très jeune le poste de violoncelle principal de la Staatskapelle Dresden de 1984 à 1997, avant de poursuivre sa carrière comme soliste en s’installant aux Etats-Unis. Depuis deux décennies, il est aussi le directeur artistique du festival de Moritzburg, fondé en 1993. C’est avec la formation de cet événement annuel qui a lieu à Dresde qu’il a enregistré le présent album, du 10 au 13 octobre 2022, dans la Lukaskirche de la capitale de la Saxe. Une formation qui réunit de jeunes talents internationaux, sous la direction du Barcelonais Josep Caballé Domenech (°1973).

Composé et créé à Paris en 1876, le Concerto pour violoncelle de Lalo est une pierre angulaire de l’instrument. Sa discographie est prestigieuse, où dominent de flamboyantes et indémodables versions, déjà anciennes : Du Pré/Barenboim, Starker/Skrowaczewski, Navarra/Munch, Fournier/Martinon, Lodéon/Dutoit, Rose/Ormandy, Nelsova/Boult… Sans oublier, parmi d’autres belles gravures, Bertrand/Denève, Harrell/Chailly ou encore David Cohen et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, sous la direction de Jean-Pierre Haeck. Accompagné par une phalange de circonstance qui ne joue pas assez la carte du noble lyrisme, en particulier dans l’admirable volet central, un Intermezzo qui se déploie comme dans une sorte de rêve éveillé, Vogler témoigne de la qualité de son expressivité, cependant quelque peu bridée dans le premier et le troisième mouvement. Le dialogue entre l’orchestre et le soliste manque de flamme et n’atteint pas les sommets des versions anciennes.

Le complément de programme est une première mondiale au disque. Il s’agit d’une partition de 1946, le Concerto pour violoncelle « dans le style romantique sérieux » du frère cadet de Pablo Casals, Enrique, né plus de cinq ans après son aîné, le 26 juillet 1892. Lalo avait disparu trois mois auparavant, le 22 avril. Ce soliste du violon s’est notamment perfectionné à Bruxelles auprès de Mathieu Crickboom et de Joseph Jongen, a fondé un quatuor, s’est produit au sein d’orchestres et comme soliste dans plusieurs pays européens, et est devenu directeur des Festivals de Prades, à partir de 1955, pour trois décennies, jusqu’à son décès en 1986. Son Concerto pour violoncelle est résolument ancré dans la tradition du romantisme allemand et est nourri du souvenir de Wagner et de Richard Strauss. Comme l’explique Jan Vogler dans la notice, l’œuvre a été composée dans la maison d’Enrique Casals, située en bord de plage de San Salvador, proche de l’actuel musée consacré à son frère Pablo. Elle s’ouvre par un Allegro moderato de belles dimensions (quatorze minutes), aux couleurs chaleureuses et aux élans orchestraux attractifs, marqués par des images inspirées par la région catalane. L’Adagio doloroso qui suit est élégiaque et fait chanter le violoncelle avec des accents tendres ou emphatiques dont on apprécie les effets lyriques, avant la souple volupté du final sous le signe de la sardane. Cette danse traditionnelle catalane, au cours de laquelle les participants se tiennent par la main tout en formant un cercle, imprègne ce Tempo di sardana, familier au compositeur qui en compte un grand nombre dans son catalogue.

Enrique Casals a écrit ce concerto pour sa fille Pilar (1920-2000), sans doute aussi dans l’espoir que son illustre frère l’interprète à son tour. Mais ce dernier, qui avait souvent joué en public la partition de Lalo, ne semble pas avoir fait de même pour celle de son cadet. Pablo Casals refusa en effet les concerts en Espagne et dans les pays qui reconnaissaient le régime de Franco. Il aura donc fallu attendre près de quatre-vingt ans avant de disposer d’un enregistrement de ce concerto, qui sert désormais de référence. Jan Vogler, technique affirmée, le joue avec beaucoup de chaleur, l’orchestre lui apportant cette fois un partenariat plus en situation. Même si la découverte n’a rien de révolutionnaire, cette partition négligée pourrait être inscrite à l’une ou l’autre affiche de concert en mal de renouvellement. Dans une discothèque, on classera cet album à Casals plutôt qu’à Lalo.

Son : 9   Notice : 9  Répertoire : Lalo 10 - Casals : 8 Interprétation : 8

Jean Lacroix

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