Frescobaldi, complète moisson de Canzoni da Sonare, par de fins Mercenaires
Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Canzoni da Sonare (1634). La Guilde des Mercenaires. Elsa Franck, hautbois, flûtes. Adrien Mabire, Benoît Tainturier, cornet, flûtes. Arnaud Brétécher, Abel Rohrbach, trombones. Laurent Le Chenadec, Jérémie Papasergio, bassons. Helene Houzel, violon. Manon Papasergio, viole de gambe, harpe. Gabriel Rignol, archiluth. Jean-Luc Ho, Yoann Moulin, clavecin, orgue, régale. Décembre 2020, septembre 2021. Livret en français, anglais. TT 71’16 + 70’27. Lanvellec Éditions LE00006
Pour son cinquième disque, La Guilde des Mercenaires profita du confinement fin 2020 pour enclencher un projet d’envergure : l’enregistrement intégral des Canzoni da Sonare, dans l’édition vénitienne de 1634, qui en rassemble la plus vaste collection, certaines reprises à des parutions antérieures, et désormais méthodiquement ventilées selon l’effectif instrumental et les tessitures. Elles couvrent les deux tiers de la production instrumentale hors clavier de Frescobaldi –celles du Fiori Musicali (à vocation liturgique) et du Quarto Libro de 1645 n’en font pas partie. La notice de Denis Morrier détaille les sources et la genèse de cette moisson, stratifiée tout au long de la carrière du compositeur : elle se traduisit par plusieurs publications, non sans tuilage et recoupements. Rappelons que la partition laisse une marge de manœuvre quant aux choix des instruments, en basse et dessus, et bien sûr quant à la nomenclature du continuo, ici brodé par orgue et clavecin (Jean-Luc Ho, Yoann Moulin), harpe et archiluth (Gabriel Rignol).
Sur les disques, les pièces apparaissent non pas dans l’ordre du recueil, mais sont groupées de manière à juxtaposer divers effectifs. Pour maintenir l’intérêt durant près de deux heures et demie, les options défendues par Adrien Mabire s’avèrent pertinentes sinon optimales : les pages à canto solo alternativement confiés à violon, hautbois (Elsa Franck), flûte à bec, cornet (Adrien Mabire, Benoît Tainturier) ; celles per basso solo échoient tour à tour à basson (Laurent Le Chenadec, Jérémie Papasergio), trombone (Arnaud Brétécher, Abel Rohrbach), viole de gambe (Manon Papasergio). Les canzoni d’ensemble résonnent en différentes configurations, incluant le broken consort, garantes de la richesse des textures et des couleurs.
La douzaine de musiciens engage une réalisation à la hauteur : une fine farine qui tient ses promesses. Parmi les nombreuses étapes grisantes de ce parcours, mentionnons l’émouvant archet d’Helene Houzel sur un enchanteur brochage d’orgue et cordes pincées (Canzon 3), le subtil tramage d’orgue et régale (Canzon 6), les acrobatiques diminutions de basson (Canzon 25), le délicat boudoir de flûtes (Canzon 37). Passons sur une Canzon prima à l’interprétation un peu blêmissante : à l’autre extrémité du recueil, la Guilde réserve à la pénultième Canzon un revigorant tutti pour clore ce copieux double-album. Entre les deux, l’équipe réunie autour d’Adrien Mabire cultive des parfums et des saveurs sans nombre.
Pendant longtemps, la discographie n’a fait qu’effleurer ce pré où Frescobaldi concentre un des plus importants vergers polyphoniques des prémices baroques. On en sait d’autant gré à cette récolte ici offerte à plein panier, butinée, vendangée avec talent et imagination. Manquerait çà-et-là cette ultime dose de précision ou d’ivresse qui sacre les réalisations émérites ? La constante sensibilité de l’exécution balaie la réticence. C’est que les « Mercenaires » ne viennent pas se taper la cloche ni la pose. À leur (douce) manière, et chez un label en marge des écuries notoires, ces francs-tireurs raflent la mise, et installent leur campagne comme une référence avec laquelle il faudra désormais se mesurer.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 9,5