Les fastes de Versailles, façon patchwork
UN OPERA POUR TROIS ROIS
Extraits d'oeuvres de Jean-Baptiste Lully, Jean-Philippe Rameau, André Cardinal Destouches, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, Michel-Richard de Lalande, François Colin de Blamont, Antoine Dauvergne, Jean-Marie Leclair, Pancrace Royer, Bernard de Bury, Niccolo Piccinni, François Rebel, François Francoeur et Christoph Willibald Gluck
Chantal SANTON-JEFFERY (La Renommée), Emöke BARATH (La Gloire), Thomas DOLIE (Apollon), Purcell Choir, Orfeo Orchestra, dir.: György VASHEGYI
2017-DDD-47'51 et 43'55-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Glossa GCD 924002 (2 cd)
Le titre est joli, accrocheur. Mais la reconstitution d'un opéra purement fictif, qui plus est basé sur des musiques écrites sur le laps de temps de plus de cent quinze ans qui sépare Les plaisirs de l'île enchantée de Lully (1664) de l'Atys de Niccolo Piccinni (1780), fait-elle sens? Ces extraits de pas moins de 25 opéras, ballets et autre pastorale héroïque, pour un total d'à peine plus d'une heure et demie, peuvent difficilement constituer autre chose qu'un costume d'Arlequin, un kaléidoscope de miniatures dont la plupart n'excède pas deux ou trois minutes. Cette remarque mise à part, il faut avouer que le résultat est époustouflant de virtuosité et impressionne par l'inventivité folle des compositeurs conviés à ce grand rassemblement. Nul doute que l'on tient ici l'une des anthologies les plus brillamment réussies consacrées aux fastes les plus extravagants et à l'incomparable magnificence de la musique française de Louis XIV à Louis XVI. Il faut reconnaître également que l'ensemble est homogène et que le passage d'un ouvrage à l'autre se fait sans hiatus. Notons aussi que le programme est composé en grande partie de pages au climat agité, tourmenté, inquiet, ce que soulignent déjà les orages tirés du Platée de Rameau ou du Retour du printemps de Dauvergne, la tempête de l'Iphigénie en Tauride de Gluck ou encore le combat de Castor et Pollux. Mais c'est le dramatisme intense qui affleure presque partout qui saisit le plus l'auditeur et le prend à la gorge d'un bout à l'autre de ce parcours assez exceptionnel. Les sentiments les plus tourmentés de l'âme humaine sont exprimés, parfois avec fort peu de pudeur, dans des pages souvent inouïes, dans tous les sens du terme, tirées de merveilles telles que Issé de Destouches et Le Zéphyre et Flore du presque inconnu François Colin de Blamont, l'un des surintendants de la musique qui se sont succédé à Versailles, à l'instar des Destouches, Francoeur, Rebel, Dauvergne. Quelques airs des plus sublimes écrits pour la cour des rois de France sont présents, tel l'admirable « Viens, Amour, quitte Cythère » du somptueux Scylla et Glaucus de Leclair. Surtout, le disque abonde en raretés, la plupart inédites, de toute beauté. On peut ainsi lever un coin du voile sur des oeuvres remarquables telles que Le carnaval du Parnasse et Les fêtes de Paphos de Mondonville, Ernelinde, princesse de Norvège de Philidor, Les caractères de la folie de Bury, Canente de Dauvergne, Le pouvoir de l'Amour de Royer ou le tardif Atys de Piccinni. A côté de cela, on trouvera des pièces bien plus célèbres, telles « Grands dieux! Soyez-nous secourables » et « Ô malheureuse Iphigénie » de l'Iphigénie en Tauride de Gluck, déjà citée, « Tristes apprêts, pâles flambeaux » du Castor et Pollux de Rameau ou encore la fameuse marche du Bourgeois gentilhomme de Lully. Et c'est tout en splendeur que ce spectacle imaginé s'achève sur le célébrissime air des sauvages, tiré des Indes galantes. L'interprétation est au diapason de cette musique faite pour éblouir et émouvoir tout en même temps: tant les solistes que les choeurs, très présents, et l'orchestre, brillant à souhait, ne méritent que des éloges. Un voyage inattendu et plein de surprises qui laisse un regret: que tant parmi les ouvrages abordés n'aient pas encore reçu, au disque, les honneurs d'un enregistrement intégral. Un régal!
Bernard Postiau
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10